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tombeau de Machiavel et celui de Michel-Ange. On y lit cette inscription : Victorio Alfierio Astensi, Aloisiae principibus Stolbergis Albanix comitissa, m. p. c. an. MDCCCX.

Les œuvres posthumes d’Alfieri, que l’on commença de publier dès l’année 1804 et qui n’ont pas moins de treize volumes, publiés à Londres (Florence), contiennent un drame d’Abel, auquel l’auteur a donné le singulier titre de Tramélogédie, genre dans lequel il comptait en composer plusieurs autres ; une traduction de l’Alceste d’Euripide, et une autre Alceste de sa composition, qu’il appelle Alceste seconde ; les Perses, traduits d’Eschyle, le Philoctète de Sophocle, et les Grenouilles d’Aristophane ; seize satires, dont plusieurs sont fort courtes, et qui ne remplissent, toutes réunies, qu’un très-petit volume : elles sont principalement dirigées contre les Français, et un peu contre tout le monde ; la traduction de Salluste, faite à loisir, retouchée avec soin ; une traduction complète en vers, des comédies de Térence ; l’Énéide de Virgile, aussi traduite en vers, mais imprimée dans un grand état d’imperfection ; sept comédies d’un genre bizarre satirique, politique si l’on veut, mais peu plaisant ; un petit recueil de sonnets, pour joindre à ceux que l’on trouve dans ses œuvres diverses ; enfin sa Vie, qui remplit les deux derniers volumes. Il paraît qu’on n’a rien laissé inédit, si ce n’est le Miso-Gallo (l’ennemi des Français), dont il est souvent parlé dans sa vie. On ne comprend pas trop cette exception : il est difficile que l’auteur soit plus anti-français dans son Miso-Gallo que dans sa vie et dans ses satires. On a publié en France trois traductions d’Alfieri : 1° De la Tyrannie (par un anonyme) ; Paris, Molini, an X, 1802, in-8o ; — 2° Œuvres dramatiques du comte Alfieri, traduites par C.-B. Petitot ; Paris, Giguet et Michaud, 1802, 4 vol. in-8o ; — 3° Vie de Victor Alfieri, écrite par lui-même, et traduite par M*** ; Paris, H. Nicolle, 1809, 2 vol. in-8o.

Voici le portrait que Ginguené (auquel nous avons emprunté déjà plusieurs détails) a tracé de ce poète : « Alfieri était d’une taille haute et noble, d’une figure distinguée, mais peu imposante, quoique son air fût habituellement dédaigneux et hautain ; son front était grand et ouvert ; ses cheveux épais et bien plantés, mais roux ; ses jambes longues et maigres. H aimait passionnément les chevaux : il en a eu jusqu’à douze ou treize à la fois, presque tous fins et de prix. Il se plaisait peu dans le monde, et ne prenait aucun soin pour y plaire. La qualité distinctive de son esprit et de son âme était l’élévation : son défaut dominant était l’orgueil. Ce fut par orgueil plutôt que par penchant, ce fut pour exciter l’admiration, pour être le premier en quelque sorte, pour vivre dans la postérité, qu’il devint poète. Au milieu de ses succès poétiques et littéraires, il eut un grand malheur :


c’est, à ce qu’il paraît, de n’aimer véritablement ni la poésie ni les lettres. Ses passions étaient ardentes. On l’aurait cru peu sensible ; il l’était pourtant en amitié ; il y était aussi très-fidèle. Dans d’autres affections, il fit souvent de mauvais choix ; mais dès qu’il eut trouvé une femme digne de l’attacher, il fut constant, et le fut pour la vie. Sa réputation littéraire s’est établie avec peine. On trouvait à son style des défauts, qui ont été regardés depuis comme des qualités. Il n’écrivait pas comme tout le monde, on l’en blâmait ; mais tout le monde, ou du moins tous les poètes tragiques, ont fini par vouloir écrire comme lui. Le système dramatique qu’il a introduit en Italie est, quoi qu’il en ait dit, celui de France : il n’a fait qu’essayer d’en corriger les longueurs et les langueurs. Il a supprimé les confidents et presque tous les personnages secondaires : il en résulte plus de vigueur sans doute et une action plus serrée, mais aussi moins d’épanchements, de la sécheresse et de la roideur. Notre théâtre est déjà maigre, auprès de celui des Grecs ; celui d’Alfieri est, à l’égard du nôtre, presque dans la même proportion. Il parle rarement au cœur, mais il est éloquent et nerveux dans les passions fortes ; il a de la grandeur, et, dans ses idées comme dans son style, il aspire toujours au sublime ; ses caractères ont de l’énergie, quelquefois aux dépens de la vérité historique et même dramatique. Ne donnant rien aux yeux et peu au cœur, il fait peu d’effet au théâtre, mais il en fait beaucoup à la lecture. Son dialogue est souvent un modèle de précision, de justesse et d’argumentation dramatique. La coupe de ses vers est savante et harmonieuse ; mais son style, toujours fort, est quelquefois un peu dur. Il en sera de lui comme de la plupart des inventeurs : d’autres Italiens feront mieux que lui, mais en l’imitant ; ils iront plus loin, mais en suivant la ; route qu’il leur a tracée. »

A côté de ce jugement d’un habile critique, nous placerons celui de madame de Staël :

« C’est, dit cette femme d’esprit, avec un respect profond pour le caractère d’Alfieri que je me permettrai quelques réflexions sur ses pièces. Leur but est si noble, les sentiments que l’auteur exprime sont si bien d’accord avec sa conduite personnelle, que ses tragédies doivent toujours être louées comme des actions, quand même elles seraient critiquées à quelques égards comme des ouvrages littéraires. Mais il me semble que quelques- unes de ses tragédies ont autant de monotonie dans la force que Métastase en a dans la douceur. Il y a dans les pièces d’Alfieri une telle profusion d’énergie et de magnanimité, ou bien une telle exagération de violence et de crime, qu’il est impossible d’y reconnaître le véritable caractère des hommes. Ils ne sont jamais ni si méchants ni si généreux qu’il les peint. La plupart des scènes sont composées pour mettre en contraste le vice et la vertu ; mais ces oppositions