Page:Hoefer - Biographie, Tome 26.djvu/415

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gypte. « Le samedi fist le roy voile et tous les autres vaisseaux aussi, que moult fut belle chose à voir ; car il sembloit que toute la mer, tant comme l’on pouvoit voir à l’œil , fust couverte de touaille des voiles des vaisseaux, qui furent nombres à dix-huit cents vaisseaux, que grans que petits. »

Lorsqu’on débarqua devant Damiette, le lundi de Pâques 1250, la galère de Joinville se trouva placée à Pavant-garde, et il descendit à terre un des premiers (1). Par son intrépidité il maintint dans l’inaction un corps de six mille Sarrasins, qui n’osa venir l’attaquer à la vue de la fière contenance de sa troupe et des lances en arrêt comme pour aller parmi les ventres, en sorte qu’ils tournèrent le devant derrière et s’enfouirent- Joinville rendit grâce à Dieu de ce que l’armée des émirs leur avait abandonné presque sans tcoup férir la cité de Damiette. Après plusieurs mois passés sous les murs de la ville pour combattre et repousser les attaques des Arabes Bédouins et des Turcs , l’armée se dirigea vers Babijlone (Baboul, près du vieux Caire ), et Joinville fut chargé de la garde des chastels destinés à protéger les travailleurs qui construisaient une chaussée. Sa position était pénible : jour et nuit les Sarrasins lançaient contre les châteaux en bois le feu grégeois gros comme un tonneau de verjus, dit Joinville, avec une queue aussi longue qu’un glaive, et ressemblant à la foudre venue du ciel; il semblait voir un dragon volant dans l’air. A son approche, Joinville et ses chevaliers se jetaient à genoux, et, les coudes appuyés à terre, criaient merci à Notre-Seigneur, en qui est toute puissance (2). Mais il semble résulter de son récit que les Sarrasins ne savaient pas bien diriger ce feu. Sa position et celle de sa troupe étaient des plus critiques, puisque , leur disait le bon chevalier Gautier de Cureuil, si nous restons dans nos chastels, nous sommes perdus et ars (brûlés), et si nous laissons nos défenses , que Von nous a baillées à garder, nous somme honnis : dont (donc) nulz ne peut notes défendre de cest péril, fors que Dieu »

Dans cette plaine sablonneuse, le bras du Nil ayant été franchi, les premiers succès furent •suivis d’affreux désastres, causés par la désobéissance et l’audace malheureuse du comte d’Artois , qui l’entraînèrent à sa perte dans la ville de Mansourah (3). A cette bataille , où Joinville (1) Il avait quitté son navire pour monter sur cette galère, qui avait un moindre tirant d’eau : c’était une de ses cousines , Eschivc de Montbéliard , dame de Beyruth, qui la lui avait envoyée pour laciliter son débarquement.

(2) « Toutes les fois que le saint roi oyoit qu’ils nous jettoient le feu grégeois, il se dressoit en son lict et tendoit ses mains vers Nostre-Seigneur, et disoit en pleurant : « Biau sire Oieu, gardez-moi magent.» Et je crois vraiment que ses prières nous servirent bien au besoin », ajoute Joinville.

L (S) Enorgueilli de so6 premiers succès, et désobéis-nous raconte comment il tua un Sarrasin, auquel il donna de son glaive par dessous Vaisselle et le jetta mort à terre, six de ses chevaliers périrent, parmi lesquels Hugues de Tricastel, qui, ainsi que Landricourt, tué la veille, étaient alors les seuls de ses chevaliers qui portaient bannière. Après la mort de Tricastel, nous dit Joinville, moi et mes chevaliers donnâmes des espérons et allâmes au secours de monseigneur Raoul de Wanon, qui estoit avec moi et que les Sarrasins avoient abattu à terre. Quand je m’en revenois, les Turcs m’appuyèrent de leurs glaives; mon cheval s’agenouilla par le faix qu’il en sentit, et je en allai oultre parmi les oreilles du cheval, et je me redressai mon escu à mon col et mon épée à la main. » C’est là que Joinville, après avoir vaillamment combattu, fut exposé aux plus grands périls et de nouveau renversé de son cheval.

Les sentiments chevaleresques manifestés en cette circonstance par un de ses chevaliers méritent d’être signalés : « Monseigneur Érart de Siverey, dit Joinville, fut percé d’une épée au visage, si que le nez lui cheoit sur la lèvre, et me dit : — « Sire, se vous cuidiez que moi «ne mes hers (descendants) n’eussions « blâme, je vous iroie querre secours au comte « d’Anjou, que je vois là emmi les champs. »

— Et je lui dis : « Messire Érart, il me semble que vous ferez vostre grand honneur, se vous nous alliez querre aide pour nos vies sauver, caria vostre est bien en aventure. — Et je disais bien voir ( vrai ) , car il fut! mort de cette blessure. Il demanda conseil à tous nos chevaliers qui estoient là, et tous li louèrent ce que jeli avoie loué (1). »

L’arrivée du roi, sur ces entrefaites, est admirablement dépeinte par Joinville : « Là où j’étois à pied avec mes chevaliers, ainsi blessé comme je l’ai dit devant, vint le roi avec toute sa bataille, à grand’ fanfare et à grand bruit de trompes et timballes, et il s’arrêta sur un chemin élevé: plus jamais si bel homme armé je ne vis , car il paraissoit au-dessus de tous ses gens , des épaules jusqu’à la tête , un heaume doré en son chef, une épée d’Allemagne en sa main. »

Joinville frappait à grands coups d’épée les Sarrasins , et dans le fort de la mêlée s’adressait à monseigneur saint Jacques, pour qu’il sant aux ordres du roi, le comte d’Artois périt par l’excès de son audace et même de sa furie; il l’avait mérité par sa désobéissance, cl par son insolence envers les Templiers, qui se firent tuer à ses côtés pour que le sage conseil qu’ils lui avaient donné ne pût pas être soupçonné par lui de lâcheté.

(l) C’est par ce même sentiment de l’honneur militaire et du respect pour l’opinion qu’Hector rejette le conseil de choisir un poste moins périlleux. « Je redouterais , répond-il à Andromaque, le blâme des Troyens et des Troyennes si je cherchais à me souslraire aux périls de la guerre , moi qui, par ma naissance, dois toujours êlre brave et toujours combattre au premier rang des Troyens. »