Page:Hoefer - Biographie, Tome 26.djvu/418

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inanité qui contrastent avec tant d’horreurs.

C’est ce que Voltaire a remarqué. « Le nouveau Soudan Almoaclan, dit-il, avait certainement de la grandeur d’âme; carie roi Louis lui ayant offert pour sa rançon et celle des prisonniers un million de bezants d’or, Almoadan lui en remit la cinquième partie (1). » D’après la lettre de Pierre Sarrasin, les musulmans auraient fait périr à Damiette un grand nombre de chrétiens qui ne voulurent pas renier leur foi, et leur auraient même fait souffrir des supplices. En effet Makrisi rapporte que lorsque les musulmans entrèrent dans la ville, ils coururent au pillage et massacrèrent les prisonniers qui n’en étaient pas encore sortis, et que, pour faire cesser ce carnage et mettre dehors ces bandes féroces on dut se battre contre elles. Cet historien arabe dit ailleurs que le roi ramena en France douze mille cent dix soldats chrétiens qui avaient été retenus captifs au Caire. L’espoir d’obtenir une forte rançon leur sauva probablement la vie (2).

Joinville suivit le roi en Syrie ; mais la maladie l’avait tellement affaibli qu’en débarquante Saint-Jean-d’Acre il pouvait à peine se tenir sur l’un des palefrois de la suite du roi. Saint Louis l’envoya chercher pour dîner à sa table, où il se rendit couvert de ce même et unique manteau que lui avait donné sa mère, et qu’il avait pu conserver pour tout équipage. Le roi lui reprocha d’avoir tardé à le venir voir, et lui commanda si chier comme favoie s’amour, de seir (s’asseoir ) désormais à sa table soir et matin. Sa maladie empira; logé dans la maison du curé de Saint-Michel à Saint- Jean-d’ Acre, il n’avait personne pour le soigner : tous ses gens (1) Essai sur les Mœurs, chapitre lviii. On lit dans l’historien Aboulfarage que le sultan , apprenant que la reine, femme du roi de France, qui était restée à Damiette, était accouchée d’un fils, envoya de riches présents à la mère, avec un berceau d’or et des vêtements magnifiques pour l’enfant. Aboulmahassen parle de traitements honorables faits au roi de France par le sultan. « Lorsqu’en vertu du traité, dit Voltaire, les troupes françaises qui étaient dans Damielte rendirent cette ville, on ne volt point que les vainqueurs fissent le moindre outrage aux femmes. On laissa partir la reine et ses belles-sœurs avec respect. Ce n’est pas que tous les soldats musulmans fussent modérés : le vulgaire en tout pays est féroce. Il y eut sans doute beaucoup de violences commises, des captirs maltraités et tués, mais enfin J’avoue que je suis étonné que le soldat mahométan n’ait pas exterminé un plus grand nombre de ces étrangers qui des ports de l’Europe étaient venus sans aucune raison ravager l’Egypte. »

(2) On ne peut se dissimuler que les guerres en Orient eurent toujours un caractère moins humain qu’en Europe. I.a vie des hommes compte pour peu de chose dans l’Orient. Aucun des grands conquérants qui ont marqué leur sanglant passage dans le monde et dans l’histoire n’a été moins cruel que Napoléon ; et cependant à Jaffa, après la révolte de cette ville , les terribles nécessités de la guerre l’obligèrent, vu le manque de vivres et de moyens de transporter par mer les prisonniers, de les faire fusiller en grand nombre. Les Arabes qui m’ont montré, en 1816, l’emplacement où ce massacre se fit, n’en témoignaient ni douleur ni ressentiment. Les événements tout récents de l’Inde et la vengeance exercée parles Anglais sur la population de Delhi en sont une nouvelle preuve.

étaient malades, et la mort, nous dit-il, et; sans cesse présente à ses yeux. Chaque jour < apportait plus de vingt morts au couvent, et ( entendant retentir à ses oreilles le Libéra nu Domine , il se mettait à pleurer, priant Dieu t le sauver lui et sa gent.

Rien de plus touchant que ces confessioi naïves d’un guerrier de grand cœur qui î saurait farder la vérité. Joinville a cela de con mun avec les héros d’Homère et avec tous 1 hommes chez qui le naturel n’est pas enco comprimé par ce qu’on appelle le sentime des convenances (i). Il nous fait assister à s joies, à ses tristesses et aux moments de d couragement qu’éprouve son âme au souver de ceux qu’il a quittés, et qu’il craint de ne pi revoir.

Dans le conseil que le roi assembla pour d cider s’il devait retourner en France ou pi longer son séjour en Terre Sainte, et où il expo à ses barons avec une noble simplicité les in tifs pour et contre ce départ, Joinville, appuya l’opinion du comte de Jaffa, soutenue aussi p le maréchal de France Guillaume de Beaumo et par le sire de Courtenay, s’opposa au dépar attendu que, selon les paroles mêmes du rc une fois le roi parti, les pauvres prisonnie laissés en Egypte ne seroient jamais délivr II et que chacun imitant son exemple, la Ter, I Sainte seroit abandonnée. Joinville avait dit ; ! légat que tout chevalier pauvre ou riche s II roit honni à son retour se il laissoit en I main des Sarrasins le menu peuple de JSostr I Seigneur, en laquelle compagnie il estom allé. Les douze autres membres du conseil s’il levèrent contre l’avis de Joinville et le décl; I rèrent insensé; le légat s’en montra même trfel courroucé, et l’animosité générale que susci contre lui son énergique résistance fut telle qi le nom de poulain lui fut donné, terme de m< I pris par lequel on désignait les chrétiens ml d’un Sarrasin et d’une femme franque (2). Le n ï (1) ’AyaQoi S’ àpiSixpveç àvSpEç , les .’ton/M prouvent la bonté du cœur! Cet antique proverbe, ci souvent par Eustathe au sujet des héros d’Homère, r saurait mieux s’appliquer qu’à Joinville; le lecteur er ému par ses larmes. Dans Virgile, dont la poésie ci II plutôt l’expression de l’époque où 11 écrit que celle d< : temps primitifs qu’il a voulu représenter, les larmi versées si abondamment par Énée ne semblent plu assez héroïques aux peuples civilisés; et cependar Enée est contemporain d’Ulysse et d’Achille. (2) Il est très-probable que Joinville n’a jamais lu Ho mère; et rien dans ses écrits ne semble indiquer 1 moindre velléité d’imitation ; mais lorsque la simplicit des mœurs laisse encore aux sentiments humains leu naïveté primitive, la similitude des situations se re produit toujours la même en vivacité et en énergie d’ex pression. Le tableau que nous a offert Joinville de l’ap parition de saint Louis nous rappelle, soit Achille s; montrant sur les remparts des Grecs, soit Ulysse, il bien dépeint par Hélène lorsqu’elle le signale au vicu:| Priam. Ici, dans cette délibération, où les chefs discu tent, en présence du roi, s’il convient de quitter ou (KM la Terre Sainte, on croit assister à l’un de ces con; seils où, en pareille circonstance, Achille et Agamemnoi ne s’épargnent pat des injures, qui ont blesse le goû