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cour d’un pape, elle préférait dans ses habits une élégante simplicité. »

L’éloge des vertus de Laure revient aussi souvent dans les vers du poëte que l’éloge de sa beauté, mais on y chercherait vainement des détails précis sur sa vie. Les premiers biographes de Pétrarque n’essayèrent point de suppléer à son silence. L’auteur anonyme d’une Vita di F. Petrarca écrite vers le commencement de quinzième siècle et publiée dans l’édition du Canzoniere, Rome, 1471, s’exprima le premier d’une manière explicite sur cette liaison célèbre. Il nous apprend que la personne que Pétrarque rencontra dans l’église de Sainte-Claire était une très-belle jeune fille (bellissima giovane) nommée Lorette, laquelle habitait un petit château proche d’Avignon ; que le poëte en devint très-ardemment amoureux ; qu’il resta constant dans son amour vingt et un ans de suite, elle vivant ; que dans ses vers il l’appela du nom plus harmonieux de Laure (per miglior consonanza) ; que quand en la lui voulut donner en mariage à l’instance du pape Urbain V, qui l’aimait singulièrement et qui lui concédait de garder avec cette dame ses bénéfices ecclésiastiques, il n’y voulut jamais consentir, disant que le fruit qu’il retirait de son amour pour écrire se perdrait tout dès qu’il aurait obtenu la chose aimée[1]. Cette naïve histoire, malgré l’anachronisme qui la rend suspecte (celui du pape Urbain V, qui ne monta sur le trône pontifical qu’après la mort de Laure), montre que dans les premières années du quinzième siècle ou même, suivant l’opinion de Marsac, vers la fin du siècle précédent, lorsque vivaient encore beaucoup de personnes qui avaient vu Pétrarque, on pensait que Laure n’était pas mariée. Cependant l’opinion contraire trouva des partisans. Un Italien, Alexandre Vellutello, entreprit pour résoudre cette question un voyage en France : il fit à Avignon et à Vaucluse de nombreuses recherches, auxquelles ne présidèrent malheureusement ni une saine critique ni une parfaite bonne foi. Ses renseignements sont à bon droit frappés de discrédit ; mais sa conclusion n’est pas à dédaigner. La voici telle qu’on la lit dans ses commentaires sur le Canzoniere publié en 1525 : « Per cosa certa noi habbiamo da tenere che Laura non fosse mai maritata. » « Par des motifs certains nous maintenons que Laure ne fut jamais mariée. » Une fouille pratiquée en 1533 dans le tombeau vrai on supposé de Laure à Avignon n’amena aucune découverte importante, mais elle donna lieu à quelques vers du roi François Ier[2]qui, passant par cette ville, en septembre de la même année, voulut voir le tombeau de Laure. L’absence de documents positifs laissait la place libre aux hypothèses ; nous négligeons la plupart de celles qui furent émises à ce sujet, et nous arrivons à la plus spécieuse. L’abbé de Sade, dans ces volumineux Mémoires sur la vie de Pétrarque (1764-1767), établit par des pièces authentiques l’existence de Laurette de Noves, fille d’Audibert de Noves, mariée en 1325, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, à Hugues de Sade. Laurette, mère de onze enfants, sept garçon et quatre filles, fit son testament le 3 avril 1348, et mourut peu après, puisque Hugues de Sade se remaria le 19 novembre 1348. Ces faits sont certains, mais il est beaucoup moins certain que Laurette de Noves fut la Laure de Pétrarque. Les arguments de l’abbé de Sade sont loin d’être convaincants. D’abord pour démontrer ce qui est le point essentiel, que Laure était mariée, il note que le poëte la qualifie de donna, madonna, mulier, femina, et jamais de vergine, virgo, puella, ce qui n’est pas rigoureusement vrai, puisque dans la huitième églogue il parle de la beauté de la jeune fille (forma puellae) qui le séduit, et ce qui ne prouve rien, puisque dans la poésie italienne les termes de donna et madonna s’appliquent à des jeunes filles, à la Beatrice de Dante, à la Selvaggia de Cino da Pistoja. De Sade prétend ensuite que Laure était mariée parce que dans le Triomphe de la chasteté, composé après sa mort, Pétrarque ne lui donne pour cortége que des femmes mariées, Lucrèce, Pénélope, Didon, etc. Cet argument ne prouve que la distraction de l’érudit, qui oublie que dans le Triomphe de la chasteté figurent le sacre benedette vergini, les neuf Muses, Virginie, une vestale, Hippolyte, Joseph, etc. L’argument suivant ne vaut pas mieux. On lit dans le traité de Pétrarque, De contemptu mundi, « que Laure approche chaque jour plus près de la mort, et que son beau corps, épuisé par les maladies et par de fréquentes secousses morales, a perdu beaucoup de son ancienne vigueur. » (Omnis dies ad mortem propriuss accedit, et corpus illud egregium rnorbis ac crebris perturbationibus exhaustum multum pristini vigors amisit). Pétrarque ajoute : « Et moi aussi je suis plus appesanti par les soucis et plus avancé en âge » (et ego quoque et curis gravior et aetate provectior factus suum) ; curis correspond ici à perturbationibus, qui dans le latin cicéronien est la traduction du grec πάθος. Cependant l’abbé de Sade, au lieu de perturbationibus propose de lire partibus (accouchements), sur la foi de quelques manuscrits qui offrent, dit-il, l’abréviation ptubus. Le fait est exact en ce qui concerne les deux manuscrits

  1. E quantumque gli volse essere data per donna ad instanza di papa Urbano Quinto, il quale lui singularmente amava, concedendogli di tener colla donna I beneficii insieme, noi voise mai consentire ; dicento che il frutto che prendea dell’amore a scrivere, di por que la cosa amata consequito avesse lutto si perderia.
  2. Voici les vers de François Ier :

    En petit lieu compris vous pourrez voir
    Ce qui comprend beaucoup par renommée,
    Plume, labeur, la langue et le savoir
    Furent vaincus par l’aymant de l’aymée
    O gentil âme, étant tant estimée
    Qui te pourra louer qu’en se taisant !
    Car la parole est toujours réprimée
    Quand le sujet surmonte le disant.