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Robert, roi de Naples, le Florentin Robert de Hardi, chancelier de l’université de Paris, y songèrent en même temps. Pétrarque raconte qu’il reçut à Vaucluse (le 1er septembre 1340) la lettre par laquelle le sénat romain lui offrait le laurier poétique, et que six ou sept heures après il reçut une lettre pareille du chancelier de l’université de Paris qui lui proposait la même couronne. Il opta pour Rome, mais au lieu de s’y rendre directement, il alla à Naples (février 1341) comme pour y faire vérifier ses titres littéraires par le roi Robert, le prince le plus éclairé de l’Europe. Après quelques conférences intimes, où le monarque et le poète se montrèrent enchantés l’un de l’autre, eut lieu l’examen solennel qui ne dura pas moins de trois jours et dont Pétrarque sortit vainqueur. Le roi le nomma son chapelain, et se dépouillant de la robe qu’il portait il la lui donna en disant qu’il voulait qu’il en fut revêtu le jour de son triomphe. Ce célèbre couronnement eut lieu à Rome, au Capitole, le jour de Pâques, 8 avril 1341. « Revêtu de la robe que le roi de Naples lui avait donnée, Pétrarque marchait au milieu de six principaux citoyens de Rome, habillés de vert et précèdes par douze jeunes gens de quinze ans vêtus d’écarlate, choisis dans les meilleures maisons de la ville. Le sénateur Osso, comte de L’Anguillara, ami de Pétrarque, venait ensuite, accompagné des principaux du conseil de ville et suivi d’une foule innombrable, attirée par le spectacle d’une fête interrompue depuis tant de siècles[1]. » On peut lire dans un annaliste contemporain, dans Lodovico Monaldesco[2], tous les détails du couronnement de misser Petrarca, nobile poeta e saputo. Si on était tenté aujourd’hui de sourire de cette pompeuse cérémonie, il faudrait songer au prix de quels efforts Pétrarque et ses émules ranimèrent le culte et la connaissance des lettres anciennes ; on trouverait alors naturel l’enthousiasme qu’ils excitèrent, et on comprendrait que cet enthousiasme était nécessaire pour les soutenir dans leur noble entreprise. Pétrarque fut le grand promoteur de la renaissance. C’est l’antiquité ressuscitée que le sénat et le peuple romain couronnaient sur sa tête.

Pétrarque reprit presque aussitôt le chemin d’Avignon ; mais en passant à Parme il fut retenu par son ami le prince Azzo da Correggio. Là, dans une demi-retraite, il termina son Afrique et acheva une année qui aurait été très-heureuse si elle n’avait été marquée par la perte de plusieurs de ses plus chers amis, entre autres de l’évêque de Lombès. Il venait d’être nommé archidiacre de l’église de Parme, lorsque les Romains, en 1342, le chargèrent, avec dix-huit de leurs principaux citoyens, d’aller exprimer au nouveau pape, Clément VI, le vœu qu’il revint s’établir dans leur ville. Il porta la parole en cette


occasion. Le pape admira la harangue, et donna à l’orateur le prieuré de Migliarino dans l’évêché de Pise, mais il ne quitta pas Avignon. Pétrarque, dégoûté par les vices de la cour pontificale, mais consolé par le plaisir de revoir Laure et ses anciens amis Lœlius et Socrate, rentra dans son asile de Vaucluse. Il en fut tiré par le pape, qui le chargea, en septembre 1343, d’une mission à Naples, où régnait, sous un conseil de régence, Jeanne, fille de Robert. Assez mal accueilli dans cette ville, ne trouvant pas de sécurité à Parme, alors désolée par la guerre (1344), il revit Avignon, mais pour peu de temps. Son patron le cardinal Colonna n’avait rien fait pour lui ; Azzo da Correggio le rappelait en Italie. Pétrarque résolut de quitter Avignon pour toujours. Il partit en effet en 1345 ; mais à peine était-il arrivé à Vérone que, sur des lettres pressantes de ses amis, il reprit le chemin de la ville pontificale. Le meilleur accueil l’y attendait. Le pape Clément VI lui offrit la place de secrétaire apostolique que le poète refusa, préférant la liberté aux dignités. Il reprit sa vie studieuse mêlée de chants d’amour. Un des plus singuliers épisodes de l’histoire de Rome au moyen âge l’arracha à sa retraite. Un de ses collègues dans l’ambassade envoyée à Clément VI, Nicolas Rienzi, avait formé le projet de détruire la puissance des nobles à Rome, de rétablir la liberté et de reconstituer l’Italie sous la suprématie romaine. Pétrarque, qui depuis son couronnement était citoyen romain, approuva chaleureusement cette entreprise[3], quoiqu’elle portât un coup mortel à l’influence de ses amis les Colonna, et, après l’avoir soutenue de toutes ses forces à la cour du pape, il résolut d’aller porter au tribun l’appui de ses conseils et de sa réputation. Il quitta donc encore une fois Avignon (1347) et fit à Laure des adieux qui devaient être les derniers. En arrivant en Italie, il apprit que Rienzi se livrait à des violences qui présageaient sa chute, et que presque tous les Colonna avaient été massacrés en essayant de le renverser (novembre 1347). Ce triste événement, dont le poète, ébloui par ses réminiscences classiques, ne s’affligea peut-être pas assez[4], ne précéda que d’un mois l’exil de Rienzi. Désolé de la ruine de ses patriotiques espérances, Pétrarque s’établit à Parme, puis à Vérone. Ce fut à Parme qu’il apprit la perte qu’il a consignée dans une note latine en tête de son manuscrit de Virgile. Ces lignes touchantes se lisent encore sur le précieux manuscrit déposé à la bibliothèque Ambroisienne de Milan ; en voici la traduction :

« Laure, illustre par ses propres vertus, et longtemps célébrée par mes vers, parut pour la

  1. Guinguené, Hist. Litt., t. II, p. 360.
  2. Muratori, Rerum ital. Scriptores, vol. XII, p. 340.
  3. Voy. L’Epistola hortatoria de republica capassenda de Pétrarque à Rienzi, opp., p. 538-540.
  4. dans une lettre à ce sujet (Fam, VII, 13), il dit : Nulla toto orbe principum familia carior ; carior tamen respublica, carior Roma, carior Italia.

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