Page:Hoefer - Biographie, Tome 39.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
747 PÉTRAROUE 748

mineuse correspondance. L’Africa est un poëme en neuf livres sur les exploits de Scipion l’Africain ; l’auteur, qui l’avait commencé avec enthousiasme, le poursuivit avec fatigue et le termina avec découragement ; il n’y mit jamais la dernière nain et songea plus d’une fois à le brûler. Ses amis, moins sévères que lui, le publièrent après sa mort, et quoiqu’on en pense aujourd’hui, ils rendirent service à sa mémoire. Bien que l’Africa soit une œuvre froide et sans invention et plutôt une histoire versifiée qu’un poëme, on y trouve de beaux passages, et il n’est pas indifférent à la gloire de Pétrarque d’être l’auteur du meilleur poëme latin composé entre la chute de l’empire d’Occident et la renaissance. Ses Épîtres à la manière d’Horace ne sont pas toujours indignes de leur modèle ; elles en rappellent la philosophie aimable et en ont parfois l’aisance spirituelle. Les Églogues sont des satires déguisées sous la forme pastorale. Ginguené et d’autres critiques ont cherché avec plus ou moins de succès la clef de ces allégories. Il est évident que la sixième et la septième églogues sont dirigées contre Clément VI ; la douzième, intitulée Conflictatio, et relative à la querelle de l’Angleterre avec la France, contient une violente invective contre la courtisane Faustula, qui est la cour d’Avignon. Dans beaucoup d’autres endroits de ses écrits, particulièrement dans sa correspondance, Pétrarque attaque librement les désordres et les vices de la cour pontificale, qu’il appelle la nouvelle Babylone, la Babylone de l’Occident. On a conclu témérairement de ces invectives qu’il était un hérétique, un ennemi de la papauté. La vérité est qu’il blâmait les vices de la cour d’Avignon dans l’intérêt même de la papauté, et qu’en s’élevant contre des abus qui ne touchaient qu’à la discipline, il repoussait tout changement dans le dogme. Du reste les impositions dogmatiques n’étaient pas à la mode en Italie. Ou eût trouvé plus facilement dans ce pays des libres penseurs niant radicalement le christianisme que des hérétiques songeant à le modifier. Pétrarque n’était ni un libre penseur, ni un hérétique ; c’était un catholique convaincu, régulier et même zélé dans les pratiques religieuses, mais exempt de superstitions. Ses sentiments modérés et éclairés, qui se reconnaissent dans ses poésies, se montrent surtout dans sa curieuse correspondance, qui a tant de prix pour l’histoire politique et littéraire du quatorzième siècle ; ils se montrent aussi dans ses traités de morale, où, s’inspirant des philosophes païens et des pères de l’Église, de Cicéron et de saint Augustin, il développe des idées judicieuses dans une latinité quelquefois élégante, toujours animée, qui a la liberté et la chaleur d’une langue vivante. Le traité des Remèdes contre l’une et l’autre fortune est plein de sens et se lirait encore avec intérêt, s’il n’était gâté par la subtilité scolastique et par cette manie, générale an quatorzième siècle, d’introduire dans les distensions morales des personnages allégoriques. Le traité de la Vie solitaire, dédié à Philippe de Cabassole, quoique surchargé d’une érudition qui aujourd’hui nous paraît déplacée, vaut beaucoup mieux. Dans un sujet qu’il connaissait par une longue expérience, l’auteur a trouvé des remarques délicates et ingénieuses et des accents d’une éloquence persuasive. Ses Dialogues sur le mépris du monde (en 1343), dont l’idée lui fut inspirée par la lecture des Confessions de saint Augustin, son Épître à la postérité, contiennent sur lui-même des révélations qui sans avoir la familiarité piquante et la portée philosophique des confidences de Montaigne, ont beaucoup de prix pour la biographie de l’auteur et l’étude du cœur humain. Quelle que soit la valeur des Œuvres latines de Pétrarque, c’est à ses poésies italiennes qu’il doit la meilleure part de sa gloire. En racontant sa vie nous avons exposé les principaux incidents du sentiment qui s’empara de lui à l’âge de vingt-trois ans, et qui ne le quitta plus. Pour célébrer celle qu’il aimait il inventa une poésie nouvelle, qui n’avait point de modèle chez les anciens et qui ne trouvait chez les troubadours que des devanciers très-imparfaits. Il doit beaucoup à Dante, qu’il n’estimait pas assez, et dont il parle avec une froideur voisine de l’envie ; mais venant immédiatement après le grand créateur de la poésie italienne, il sut être créateur à son tour. Il dut beaucoup aussi aux poètes provençaux, mais il perfectionna infiniment les emprunts qu’il leur fit. Il donna à leur galanterie subtile une sincérité et une beauté d’expression qui la transformèrent. Il a sans doute quelques-uns de leurs défauts ; il abuse des ornements, il prodigue les métaphores, qui ne sont pas toujours justes, les antithèses souvent forcées, les hyperboles puériles, les jeux d’esprit et de mots ; il raffine quelquefois ses pensées jusqu’à les rendre insaisissables ou les complique jusqu’à les rendre inintelligibles ; mais ces défauts altèrent à peine l’effet de sa poésie, élaborée avec un soin infini, sans que le travail le plus minutieux refroidisse son inspiration. La vivacité et la parité des sentiments, la variété et l’éclat des images, l’art exquis de la composition, l’élégance et la fraîcheur du langage dont aucune tournure n’a vieilli, la mélodie de la versification donnent à ses sonnets et à ses canzones amoureuses un charme que peut-être aucun autre poète n’a égalé. Il serait difficile de faire un choix parmi ces chefs-d’œuvre délicats. Les meilleurs juges s’accordent à placer les vers composés après la mort de Laure fort au-dessus de ceux qu’il composa pendent sa vie. Dans la première partie du canzoniere (in vita di Madonna Laura), ils signalent particulièrement le sonnet qui commence par ces mots Solo e pensioso, la canzone XIe : Chiare, fresche e dolci acque, la XIIIe : Di pensier in pensier, di monte in monte, et les trois célèbres canzones sur les yeux de Laure ;