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293 SANLECQUE — SANNAZARO 294


rimes et les renvoie à Boileau adaptées aux hémistiches suivants :

Dans un coin de Paris Boileau, tremblant et blême,
Fut hier bien frotté, quoiqu’il n’en dise rien ;
Voilà ce qu’a produit son style peu chrétien :
Disant du mal d’autrui, l’on s’en fait à soi-même.

Le reste du sonnet exaltait le duc de Nevers, qui dès lors prit en grande amitié son défenseur. Aussi, quelques années après, l’évêché de Bethléem étant venu à vaquer, le duc, usant de son droit d’y nommer, pensa-t-il à Sanlecque. Déjà celui-ci avait fait sa profession de foi entre les mains du nonce, lorsque Louis XIV le déclara indigne. Sanlecque avait oublié certain poëme Contre les directeurs et certaine satire Contre lus évêques. Le poëte se retira dans son prieuré de Garnay, près de Dreux ; il y passa ses dernières années dans le détachement le plus absolu des choses terrestres. On dit que ses paroissiens profitèrent de la presque totalité des revenus de sa cure et que, pour n’en rien soustraire, il se refusa à faire réparer la maison même qui l’abritait. Les eaux du ciel gagnèrent bientôt jusqu’à sa chambre et son lit ; il fit changer son lit de place. La pluie l’y vint trouver ; le lit fut transporté sur un autre point de la chambre. Sanlecque s’en consola, en composant une pièce, malheureusement perdue, sur les Promenades de son lit. Avant sa mort, il fit amende honorable à Boileau : dans la pièce de Boileau et Momus, il fait détrôner celui-ci par celui-là. Les poésies de Sanlecque, vantées de son temps, sont tombées dans un discrédit complet ; quelques traits d’esprit n’y sauraient compenser le manque presque absolu de netteté. Ses poésies ont paru à Harlem (Lyon), 1096, in-8o, et 1726, in-12 ; Paris, 1742, in-12. Ach. G.

Titon du Tillct. — Moréri, Dict. hist. — Voltaire, Siècle de Louis XIV. — Vigneul-Marville, Mélanges.

SANNAZAR. Voy. SANNAZARO.

SANNAZARO (Jacopo), en français Sannazar, poète latin et italien, né le 28 juillet 1456, à Naples, où il est mort, le 27 avril 1530 ([1]). Sa famille était d’origine espagnole ([2]) ; elle fut dépouillée d’une partie de ses biens par la reine Jeanne. Enfant, Sannazar perdit son père ; sa mère se retira avec lui pendant quelque temps à Santo-Mango, près de Salerne. Avant de quitter Naples, Sannazar avait commencé à étudier sous la direction da savant Giuniano Maggio ; il avait aussi, dit-on, éprouvé les premières atteintes de l’amour, et s’était épris dès l’âge de hait ans pour une jeune fille que Crispa appelle Carmosina Bonifacio. Bientôt Sannazar revint à Naples avec sa mère ; il retrouva les leçons de Maggio, qui lui enseigna le latin et le grec, et qui, fier de ses rapides progrès, le présenta à Pontanus. Celui-ci prit le jeune érudit en affection, et le reçut


membre de l’Academia Pontana, sous le nom d’Actius Sincerus. Cependant l’amour occupait toujours le cœur de Sanuazar ; mais la Carmosina ne payait d’aucun retour une passion que peut-être elle ignorait. En proie à la tristesse et d’autant plus désespéré qu’il souffrait en silence, Sannazar fut sur le point de se donner la mort ; heureusement, il résolut de chercher l’oubli dans l’éloignement, et se mit à voyager. Suivant les uns, il alla en France ; suivant d’autres, plus croyables, en Orient. C’est pendant ce voyage qu’il composa l’Arcadia. A son retour en Italie, il apprit la mort de celle qu’il avait aimée, et ne songea plus qu’à l’immortaliser par ses poésies ([3]). Les vers de Sannazar le rendirent aussitôt célèbre, et il fut appelé à la cour, où il composa plusieurs comédies pour le divertissement des princes ([4]). Sannazar montra à ses souverains un dévouement qui ne recula pas devant l’adversité. Quand, en 1501, Frédéric III, trahi par Ferdinand le Catholique, son parent et son allié, dut abandonner Naples et se réfugier en France, le poète fit argent de tout ce qu’il put, saisit le roi déchu dans son exil, et ne retourna en Italie qu’après lui avoir fermé les yeux (1504). Le vainqueur de Frédéric, Gonzalve de Cordoue, mit tout en œuvre pour s’attacher le poète, et lui demanda de célébrer ses triomphes ; le poète refusa, voulant que sa plume ne fut pas moins fidèle que son cœur à l’infortune. Genre de courage plus remarquable que celui dont il avait donné des preuves en combattant près du duc Alphonse contre les troupes d’Alexandre VI. On a dit que Sannazar était tombé malade en apprenant que Philibert, prince d’Orange, avait fait raser la villa Mergellina. C’était un présent du roi Frédéric au poëte, et le poëte l’avait plus d’une fois chantée. On ajoute qu’à la nouvelle de la mort de Philibert, le poëte ressentit une telle joie qu’il en mourut. Le premier fait parait vrai, mais le second est inexact : Sannazar mourut en avril et Philibert en août de la même année. Sannazar fut inhumé dans l’église qu’il avait fait construire près de sa maison de campagne. Bembo lui consacra cette épitaphe

Da sacro cineri flores ; hic ille Maroni
Sincerus Musa, proximus et tumula.

Les jugements les plus divers ont été portés sur l’Œuvre de Sannazar. Paul Giovio et Girardi lui ont reproché d’avoir, sous prétexte de polir son De partu Virginis, passé vingt ans à le déformer et à l’affaiblir. D’autres critiques, plus sévères que les papes Léon X et Clément VII, qui témoignèrent au poëte une satisfaction sans réserve, lui ont fait un crime de n’avoir pas prononcé une seule fois le nom de Jésus, d’a-

  1. (1) C’est la date qui fut inscrite sur son tombeau ; mais des auteurs l’ont fait mourir en 1532, d’autres es 1533.
  2. (2) Elle se fixa, dit Tirabocchi, dans la terre de San Nazzaro sur le Pô, et en prit le nom.
  3. (1) Sous les noms d’Amaranthe, de Philis et de Charmozine.
  4. (2) On appelait ces comédies gliommere ; une seule de Sannazar est arrivée jusqu’à nous ; elle fut jouée le 4 mars 1492.
20.