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de la marier à son fils aîné, Georges, qu’il avait eu d’une petite-fille de Jacques Ier, roi d’Angleterre. Malgré une extrême répugnance, Sophie épousa donc son cousin germain, le 21 novembre 1682. Ce prince, emporté, cruel, débauché, ne tarda pas à manifester les vices qui firent de lui, jusque sur le trône d’Angleterre, un des hommes les plus dégradés de son époque. Cependant, les premières années du mariage furent assez paisibles, et il en naquit deux enfants : un fils (1683), qui devint Georges II, roi d’Angleterre, et une fille (1687), qui porta les prénoms de sa mère et donna le jour au grand Frédéric. Sophie-Dorothée brillait à la cour de Zell et à celle de l’évêque d’Osnabruck, devenu électeur de Hanovre. L’éclat de sa beauté lui attira bien des jalousies, et surtout celle de la comtesse de Platen, maîtresse de l’électeur. L’arrivée du jeune et brillant Philippe-Christophe, comte de Kœnigsmark, fut la cause qui dévoila les inimitiés jusque-là restées dans l’ombre. Mme  de Platen essaya vainement de lui inspirer de l’amour, et il ne dissimula pas les sentiments de sympathie qu’il éprouvait pour Sophie-Dorothée, déjà en butte aux mauvais traitements de son mari. Celle-ci n’avait pour confidente que sa demoiselle d’honneur, Mlle  de Knesebeck ; touchée de l’affection que lui témoignait le comte de Kœnigsmark, elle l’admit dans son intimité et lui demanda plus d’une fois des conseils. Un jour, échappée à grand’peine des mains de Georges, qui voulait l’étrangler contre une muraille, elle s’enfuit chez son père. Mal reçue, elle retourna à la cour de Hanovre, et imagina de se réfugier à Wolfenbüttel, chez le père de celui qu’elle avait pensé épouser. Mlle  de Knesebeck et Philippe de Kœnigsmark, auxquels elle communiqua son projet, l’approuvèrent et se mirent à en préparer l’exécution. Cependant la haine qu’avaient mise au cœur de Mme  de Platen les dédains de Kœnigsmark ne faisait que s’accroître. Elle avait déjà dénoncé à l’électeur Sophie-Dorothée comme la maîtresse du comte. Voyant son accusation sans effet, elle corrompit un des domestiques de Kœnigsmark, et fit placer sur sa table un fragment de papier blanc portant ces mots tracés au crayon d’une main tremblante : « Ce soir, après huit heures, la princesse Sophie-Dorothée attendra le comte de Kœnigsmark. » Celui-ci, sans prendre garde à l’écriture incertaine et à l’heure indue du rendez-vous, se présenta chez Sophie-Dorothée qui, étonnée, donna l’ordre de le faire entrer. Lorsqu’il en sortit, quatre gardes apostés le mirent à mort. On fit le procès de Sophie-Dorothée ; le comte de Platen s’étant présenté pour l’interroger, et lui ayant dit que l’on craignait de la voir mère d’un fils de Kœnigsmark : « Vous me prenez pour votre femme ! » répondit-elle fièrement. La cour consistoriale assemblée pour la juger prononça le divorce le 28 décembre 1694, sans s’occuper de l’adultère. On conduisit la princesse au château d’Ahlden, où elle mourut après trente-deux années d’une solitude profonde, n’ayant pu jamais revoir ni ses enfants ni sa mère. « Elle apercevait de sa fenêtre pour toute récréation, dit-elle, la petite rue tortueuse du village et les habitants levés dès quatre heures du matin. »

Cette histoire est restée pendant plus d’un siècle presque inconnue, ou du moins connue d’une façon confuse et mêlée d’inventions romanesques. La publication des Mémoires de Sophie-Dorothée[1] a enfin révélé la vérité, et leur témoignage est d’autant plus puissant qu’il concorde avec deux écrits publiés à la suite des Mémoires : la confession faite par la comtesse de Platen au moment de mourir (1706), et la narration de Mlle  de Knesebeck.

J. M.

Ph. Chasles, Drame-Journal de Sophie-Dorothée, dans la Revue des deux mondes, juillet 1845. — Hist. secrète de la duchesse d’Hanovre ; Londres (Hambourg), 1732, in-12. — Fredegunde oder Denkwürdigkeiten zur geheimen Geschichte des Hannoverischen Hofes ; Berlin, 1825, in-8o. — Henri Blaze, Les Kœnigsmark ; Paris, 1856, in-18.

SOPHOCLE (Σοφοκλῆς), un des plus grands poëtes grecs, né à Colone, bourg de l’Attique, la 1re année de la LXXIe olympiade (496-495 avant J.-C.), mort la 3e année de la XCIIIe (406-405 avant J.-C.)[2]. Son père, nommé Sophile, homme riche et de bonne naissance, possédait une forge ou un atelier de fondeur, ce qui a fait dire quelquefois que le poëte était fils d’un forgeron. Pline au contraire le dit issu de noble lieu (principi loco genitum, Hist. nat., XXXVII, 40). Sophocle appartenait certainement à une des bonnes familles de l’Attique. Il reçut une éducation libérale, qui consistait à peu près uniquement dans la musique, comprenant aussi la poésie, et dans la danse. Il eut pour maître Lampros, poëte et musicien alors célèbre, et tels furent ses progrès que dans les concours de gymnastique et de musique institués parmi les enfants, il remporta souvent le prix. Aussi dans le péan qui fut chanté après la bataille de Salamine autour du trophée élevé dans cette île en l’honneur de la victoire, conduisit-il le chœur des enfants. Avec ce talent précoce Sophocle aurait pu aborder jeune le genre de poésie qui avait alors le plus d’éclat, le drame tragique ; mais Eschyle régnait en maître dans les concours du théâtre, et pour oser se mesurer contre un rival aussi redoutable, il fallait une longue préparation. Ce fut

  1. Écrits en français dans l’original, ils ont été traduits par Fr. Müller en allemand (Hambourg, 1840, in-8o), et de cette langue en anglais (Londres, 1845, 2 vol. in-8o). Palmblad a publié en allemand la Correspondance de Ph. de Kœnigsmark et de la princesse (Leipzig, 1647, in-8o), d’après un manuscrit conservé en Suède.
  2. Nous adoptons les dates données par Diodore de Sicile qui prétend (XIII, 103) que Sophocle mourut, dans l’olymp. XCIII. an. 3, à l’âge de quatre-vingt dix ans. Le Marbre de Paros le fait mourir à la même date, sous l’archontat de Callias, à l’âge de quatre-vingt-onze ans ; la différence est peu considérable. Quant à la date de l’olymp. LXXIII, an. 3, assignée par Suidas pour la naissance de Sophocle, elle est évidemment fautive.