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rent la chute du premier cabinet Richelieu (7 déc. 1818), puis de nouveau lorsque l’élection de Grégoire porta le cabinet Decazes à tenter une alliance avec la droite (23 oct. 1819), M. de Villèle ne cessa point cette opposition, qui s’était encore accentuée pendant les débats de la loi de 1819 sur la presse. L’assassinat du duc de Berry amena la formation du second cabinet Richelieu et rendit à la fois nécessaire et plus facile une alliance avec la droite. L’intervention de M. de Villèle pour décider M. Clausel de Coussergues à retirer sa folle accusation contre M. Decazes ; le secours de sa parole prêté aux lois qui suspendirent la liberté individuelle et mirent cinq journaux en état de surveillance, furent les premiers actes de cette alliance. Quand la loi du double vote eut envoyé une majorité réactionnaire, cette majorité imposa d’abord au cabinet MM. de Villèle et de Corbière, comme ministres sans portefeuille (21 déc. 1820) ; puis, mécontente de la marche incertaine et timide de ce cabinet, affaibli du reste par la démission de M. de Villèle (25 juillet 1821), elle le renversa par sa coalition avec la gauche, pour en composer un parmi les hommes qui avaient sa confiance (15 déc. 1821).

Ici commence la longue administration de M. de Villèle, dans laquelle il mit une capacité incontestable au service d’une cause impopulaire. Cette administration ne présente qu’une série de concessions arrachées chaque année par la majorité royaliste. C’était pour satisfaire la faction ultra-monarchique, soutenue parla congrégation, qu’on élaborait successivement ces lois rétrogrades dont le souvenir pèse sur le triumvirat Villèle, Corbière et Peyronnet. Comme orateur, il avait la voix nasillarde et des formes disgracieuses, mais une puissance de raisonnement unie à un ton de simplicité qui allait à tous les esprits ; il plaisait à la majorité par le soin avec lequel il s’attachait à répondre à toutes les objections ; nul n’éludait une difficulté avec plus d’adresse, un argument avec plus de dextérité. Au pouvoir, il se distingua par le rare talent d’écouter, par l’esprit d’ordre, et par une immense aptitude pour embrasser les détails des affaires. Administrateur habile, il continua l’œuvre laborieusement commencée par ses prédécesseurs MM. Roy et Corvetto ; il apporta de nombreuses améliorations dans les finances, perfectionna la comptabilité, et établit l’ordre et l’économie dans la gestion du trésor. Comme ministre dirigeant, il était supérieur à tous ses collègues, mais ses vues n’embrassaient qu’un horizon borné ; ses idées, essentiellement pratiques, se mouvaient dans une sphère étroite ; sa politique, circonscrite aux intérêts du moment, était incapable de sacrifier à une pensée grande, généreuse, ou à une vue d’avenir. En un mot, M. de Villèle était un homme d’affaires bien plus qu’un homme d’État. Cependant il avait beaucoup plus qu’aucun de ses collègues le sentiment


des besoins réels de la France, et l’esprit de modération qui en était la conséquence fut la cause principale du crédit qu’il finit par obtenir auprès de Louis XVIII. Ce prince lui pardonnait en faveur de la rectitude de sa raison ses manières un peu bourgeoises.

La première affaire grave dans laquelle parut l’action de M. de Villèle comme ministre dirigeant fut celle de la guerre d’Espagne, et il est juste de dire qu’il fit tout ce qui était en lui pour l’éviter ou pour l’éloigner. Il était soutenu dans sa résistance par l’opinion publique, par la banque, l’industrie et le commerce, avec lesquels il s’était mis en rapport intime. Mais il avait derrière lui un parti ardent, qui le poussait et qu’il était tenu de satisfaire ; il ne gardait le pouvoir qu’à ce prix. M. de Villèle fit comprendre au roi, dont l’estime grandissait pour lui, la nécessité d’une présidence du conseil, comme moyen de s’opposer aux engagements imprévus que M. de Montmorency, alors ministre des affaires étrangères, aurait pu prendre. Il y fut appelé (7 septembre 1822), sur la retraite de ce dernier ([1]). Les tentatives d’accommodement, soit avec les cortès, soit avec Ferdinand VII, échouèrent des deux côtés. M. de Villèle ne pouvait néanmoins se décider aux hostilités ; mais la réunion Piet s’expliqua si nettement que le président du conseil vit l’impossibilité de résister au torrent. Le discours de la couronne dut parler de guerre (26 janv. 1823). L’occupation de l’Espagne ne fut guère pour l’armée française qu’une marche triomphale. En même temps un emprunt fut négocié pour subvenir aux frais de cette guerre ; il fut adjugé à la maison Rothschild au prix de 89 fr. 55 c, le taux le plus élevé qu’eût encore atteint la rente. Cette série de succès marqua pour l’opinion royaliste une époque d’exaltation triomphante. On profita de l’abattement des partis pour consolider le ministère par la grande mesure de la septennalité et du renouvellement intégral de la Chambre. Les élections de 1824 amenèrent 410 députés royalistes ; 19 seulement appartenaient à la gauche. Alors se forma ce bataillon des trois cents, qui manœuvrait si docilement à la voix et au geste de M. de Villèle. Toutefois celui-ci sentit plus tard la faute qu’il avait faite d’éliminer trop complètement l’opposition de gauche. Une opposition bien autrement dangereuse pour lui, dirigée par M. de La Bourdonnaie, son plus violent adversaire, devait se former au sein de la majorité même.

En attendant, M. de Villèle méditait un projet de conversion des rentes, lié dans sa pensée à l’indemnité des émigrés, impérieusement exigée par les chefs royalistes comme gage d’alliance avec le cabinet. Pour trouver le milliard de l’indemnité, il proposait le remboursement de la dette publique, en abaissant l’intérêt de la rente. Le 5 p. 100 avait atteint le pair à la fin de 1823,

  1. (1) Le 1er août précédent il avait été créé comte.