Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/125

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aux talons hauts et pointus, et garnies de glands d’argent ; un chapeau anglais du castor le plus fin, et des gants de Danemark. Il était donc ainsi vêtu tout-à-fait à l’allemande, et cette mise lui seyait au-delà de toute expression, surtout avec ses cheveux frisés avec soin et sa petite moustache bien peignée. Le cœur de Balthasar frissonna de plaisir quand, à son arrivée chez Mosch Terpin, Candida vint au-devant de lui, dans le véritable costume classique de la jeune fille allemande, accorte, prévenante de la voix et du regard, et telle enfin qu’on avait l’habitude de la voir, pleine de grâce dans toute sa personne. « Ô charmante demoiselle ! » dit Balthasar avec un soupir des plus profonds, lorsque Candida, la douce Candida elle-même vint lui offrir une tasse de thé fumant. Mais Candida, en arrêtant sur lui son regard resplendissant, lui dit : « Voilà du Rhum et du Maraschino, du biscuit et du pumpernickel[1], cher monsieur Balthasar ! ayez la bonté de vous servir à votre gré. » Cependant, au lieu de choisir du Rhum ou du Maraschino, du biscuit ou du pumpernickel, sans même y faire attention, l’exalté Balthasar ne pouvait détourner de la charmante demoiselle son regard plein de cette langueur douloureuse qu’inspire un ardent amour, et il cherchait des mots pour exprimer ce qui se passait alors dans le fond de son âme.

En ce moment, le professeur d’esthétique, un homme d’une grandeur et d’une force de géant, le saisit par derrière d’une main vigoureuse et le fit retourner brusquement, de sorte qu’il répandit par terre plus de thé que ne le voulait l’étiquette, en

  1. Pumpernickel, espèce de gros pain bis que mangent les paysans en Westphalie, et qui se sert par raffinement avec le thé.