Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/126

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s’écriant d’une voix de Stentor : « Mon excellent Lucas Cranach[1], n’avalez pas cette eau insipide : c’est le plus sûr moyen de vous délabrer votre bon estomac allemand. Là bas, dans l’autre chambre, notre brave compère Mosch a dressé une batterie des plus belles bouteilles toutes remplies de noble vin du Rhin. C’est là qu’il faut montrer notre savoir-faire. » — Il entraînait avec lui le malheureux jeune homme.

Mais le professeur Mosch Terpin sortit au même moment de la chambre voisine à leur rencontre, conduisant par la main un petit homme très-singulier, et s’écriant à haute voix : « Permettez, mesdames et messieurs, que je vous présente un jeune homme que recommandent les qualités les plus précieuses, et à qui il ne sera pas difficile de gagner votre estime et votre bienveillance. C’est le jeune seigneur Cinabre, qui n’est arrivé que d’hier dans cette ville, et qui se destine à l’étude du droit. » — Fabian et Balthasar reconnurent au premier coup d’œil le petit monstre bizarre qu’ils avaient vu galopper et tomber de cheval dans le bois.

« Dois-je aller défier de nouveau à l’alêne ou à la sarbacane cette vraie mandragore ? dit Fabian tout bas à Balthasar ; car en conscience je ne saurais consentir à l’adoption d’autres armes avec ce redoutable adversaire.

» Comment ne rougis-tu pas, répliqua Balthasar, de te moquer ainsi de ce pauvre nain disgracié, qui n’en est pas moins doué, tu l’as entendu, des qualités les plus rares, et qui supplée ainsi par son mérite intellectuel à ce dont l’a privé la nature

  1. Luc. Cranach, peintre distingué, dont la galerie de Dresde possède plusieurs ouvrages, entre autres les portraits d’Érasme, de Luther et de Mélanchton, et le sien propre. Le professeur appelle ainsi Balthasar, par allusion à son costume ancien, pareil à celui des portraits de l’artiste.