Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/268

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tique. Soudain le rideau tremble agité par le courant d’air qui traverse la salle… S’il allait s’enlever ! Si Donn’Anna venait à paraître poursuivie par d’effrayants fantômes ? — « Donn’Anna ! » m’écriai-je involontairement. Ce cri retentit et s’éteint dans le vaste espace, mais il a réveillé les esprits assoupis des instruments de l’orchestre. Un son confus, tremblottant, plane dans l’air, et semble répéter en murmurant le nom chéri !… Je ne puis me défendre d’un sentiment de mystérieux effroi. Pourtant ce frissonnement nerveux me cause une certaine sensation de bien-être.

Je parviens enfin a mattriser mes idées, et je me sens en état, mon cher Théodore, de t’esquisser au moins comment je crois avoir saisi, seulement d’à présent, la juste et profonde signification du sublime chef-d’œuvre du grand maître. — Il n’appartient qu’au poète de comprendre le poète ; les esprits romantiques seuls peuvent apprécier les œuvres romantiques ; l’âme exaltée et initiée par une sainte consécration aux mystères de la poésie est seule capable de comprendre le langage inspiré de ses élus ! Si l’on considère le poème en lui-même, sans y attacher aucun sens allégorique et en n’ayant égard qu’au scenario, il est à peine concevable que Mozart ait pu composer, créer une pareille musique pour si peu. Un bon vivant, adonné avec excès au vin et aux filles, qui, par jovialité, invite à un joyeux souper la statue de pierre d’un vieillard qu’il n’a tué qu’en défendant sa propre vie : en vérité, il n’y a pas là-dedans grand chose de poétique, et, je