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Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/616

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était porté sans rémission, et un supplice terrible, éternel, le punit de s’être arrogé les fonctions de la divinité ! Cette poitrine, qui avait conçu un désir surhumain, devint la proie sans cesse renaissante du vautour suscité par la vengeance, et une horrible torture physique fut le partage de celui qui avait voulu envahir le domaine céleste. »

Le peintre se tut et resta immobile, absorbé dans ses pensées. « Mais, Berthold, m’écriai-je, comment tout cela s’appliquerait-il à votre art ? qui a jamais songé à voir un crime ou une témérité insensée dans la reproduction des figures humaines, soit en peinture, soit en sculpture ? »

Berthold partit d’un éclat de rire amer et sardonique. « Haha !… certes, un jeu d’enfant n’est point un crime, dit-il ; et c’est un jeu d’enfant que de peindre comme font ces gens qui, sans nul souci, trempent leurs pinceaux dans les pots à couleur et barbouillent de la toile avec la naïve prétention de représenter des hommes en effet. — Non, ce ne sont pas là des criminels, ce sont de pauvres fous qu’il faut plaindre. Mais, monsieur ! quand l’âme s’exalte vers l’infini ! — non pas en vue d’un idéal charnel, comme Le Titien, — non, je parle de la pure essence divine, de ce feu sacré ravi par Prométhée, — voilà l’écueil, monsieur ! l’on marche sur un fil étroit et mince au-dessous duquel est un abîme béant ; et tandis que le hardi nautonnier brave le danger, une fascination diabolique fait reluire à ses yeux au fond du gouffre la vaine apparence de ce qu’il voulait aller contempler au-delà des étoiles !... »