Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/656

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je me mis à courir précipitamment au clair de lune.

J’avais déjà dépassé la statue isolée de saint Népomucène, lorsque j’entendis soupirer à plusieurs reprises d’une manière plaintive et doulouleuse. Je m’arrêtai involontairement, et il me vint aussitôt le pressentiment qu’il allait peut-être m’arriver quelque aventure extraordinaire, ce que je n’éprouve jamais sans un certain plaisir : car je suis constamment à l’affût et dans l’expectative de ce qui peut trancher sur le cours de cette vie triviale et bourgeoise ; je résolus donc de savoir d’où partaient ces gémissements.

Guidé par le bruit, je pénétrai dans le taillis, et j’arrivai derrière la statue de saint Népomucène, jusqu’à un tertre de gazon. Tout-à-coup je n’entendis plus rien, et je croyais m’être trompé, lorsque tout près derrière moi une voix sourde et entrecoupée articula les mots suivants avec de pénibles efforts : « Sort cruel ! maudite Cannizares ! ta fureur n’est donc pas assouvie et brave la mort elle-même… N’as-tu pas retrouvé dans l’enfer ton infâme Montiela avec son bâtard de Satan !… Oh !… oh !… oh !… »

Je ne voyais personne : la voix semblait partir d’en bas, et soudain un dogue noir qui était étendu près du banc de gazon se leva devant moi, mais il retomba aussitôt par terre avec des mouvements convulsifs, et parut prêt à expirer. — Indubitablement c’était lui qui avait soupiré et prononcé ces paroles, et je ne laissai pas que d’être un peu dé-