Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/686

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je fréquentais volontiers beaucoup de poètes. Je préférais les croûtes de pain que me donnait tel pauvre étudiant, qui n’avait guère d’autre nourriture, à un morceau de rôti que me jetait d’un air méprisant un valet mercenaire. — Alors la noble ardeur de peindre en un mélodieux langage les plus mystérieux sentiments de l’âme enflammait encore dans toute sa pureté l’esprit des élus, et ceux mêmes qui ne pouvaient revendiquer un pareil titre avaient de la passion et de la foi ; ils honoraient les poètes comme des prophètes qui nous révèlent les secrets merveilleux d’un monde inconnu, plein de séductions et de magnificences, et ils n’avaient point la ridicule prétention de devenir, eux aussi, les prêtres du divin sanctuaire dont la poésie leur entr’ouvrait la riche perspective. — Mais à présent tout a bien changé. Qu’il advienne à un riche citadin, à monsieur le professeur patenté, ou à monsieur le major une nichée d’enfants, vite on mettra Frédéric, Pierre et le petit Jeannot à chanter, à composer, à peindre, à déclamer des vers, sans s’embarrasser le moins du monde s’ils ont pour tout cela le plus petit grain de vocation et d’aptitude. Cela fait partie de votre prétendue bonne éducation. Et puis, chacun croit pouvoir disserter, bavarder sur l’art, apprécier, pénétrer le poète, l’artiste dans le plus intime de son être, et le mesurer à sa toise. Or, quel affront plus cruel pour un artiste que de voir le vulgaire le rabaisser à son niveau ? Et c’est pourtant ce qui arrive tous les jours. Que de fois n’ai-je pas éprouvé un mortel dégoût à entendre de ces sortes de gens obtus déraisonner sur les arts, ci-