Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/77

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même j’en aurais à ma disposition, loin de t’être utile, pauvre femme ! empirerait peut-être encore ta condition. Ni toi, ni ton mari, vous n’êtes destinés à être riches, et celui-là qui n’est pas destiné à être riche voit les pièces d’or disparaître de sa poche sans savoir lui-même comment. Il ne gagne à leur possession passagère que de nouveaux tourments ; et plus il lui échoit d’argent, plus il sent augmenter son indigence. Mais, je le sais, ce qui te ronge le cœur bien plus que l’idée de ton dénûment et de ta détresse, c’est d’avoir mis au monde ce petit monstre, que tu seras obligée d’avoir à charge toute la vie, comme un lourd et odieux fardeau. — Quant à devenir grand, beau, fort, intelligent, cela n’est pas permis à cet enfant, mais peut-être est-il un autre moyen encore de lui venir en aide. »

En disant cela, la demoiselle s’assit sur l’herbe et prit le petit sur ses genoux. La méchante mandragore se raidit, se débattit, grogna, et voulut mordre la demoiselle au doigt ; mais celle-ci lui dit : « Tranquille ! tranquille, petit hanneton ! » Et elle commença à lui passer la main doucement et lentement sur la tête, depuis le front jusqu’à l’occiput. Peu à peu les cheveux hérissés de l’enfant s’assouplirent par l’effet des caresses, et bientôt on eût pu les voir se partager symétriquement sur son front en bandeaux bien lisses, et retomber par-dessus ses hautes épaules et sur son dos de citrouille en jolies boucles ondoyantes. Son agitation s’était calmée progressivement, et il s’était enfin profondément endormi.