Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/776

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MOI.

Te voilà tout-à-coup changeant encore du propos ?

BERGANZA.

Au contraire : je reste sur la même question. J’entendis un jour Jean Kreisler raconter à l’un de ses amis comment la folie de la mère avait par une pieuse exaltation jeté le fils dans la poésie. Cette femme s’imaginait qu’elle était la vierge Marie et son fils le Christ, qui, méconnu du genre humain, parcourait le monde en buvant du café et jouant au billard, mais elle ne doutait pas qu’un jour viendrait enfin où il réunirait ses disciples pour les ravir avec lui dans le ciel. Or l’imagination excitée du jeune homme trouva dans ces rêveries extravagantes le présage de sa sublime vocation. Il se considéra comme un élu de Dieu destiné à proclamer les mystères d’une religion nouvelle et purifiée. Avec assez d’énergie morale pour sacrifier sa vie à la consécration d’une mission pareille, il eût pu devenir un nouveau prophète, ou que sais-je ? Mais avec la faiblesse innée en nous, vulgairement asservi à toutes les misères quotidiennes de la vie ordinaire, il trouva plus commode de ne manifester que par des vers sa haute vocation, qu’il désavoua même à la fin, lorsqu’il crut sa tranquillité civile compromise. — Ah, mon ami ! ah !…

MOI.

Qu’est-ce donc, cher Berganza !