Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/20

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Le chevalier eut beau prétexter sa maladresse et son défaut absolu d’expérience, le colonel tint bon, et le chevalier se vit contraint de s’asseoir à la table du jeu.

Il arriva au chevalier exactement la même chose qu’à vous, monsieur le baron ; chaque carte lui était favorable, de sorte qu’il eut bientôt gagné une somme considérable pour le colonel, qui ne pouvait assez se féliciter de l’excellente idée d’avoir mis à contribution le bonheur à toute épreuve du chevalier de Ménars.

Ce bonheur, qui causait à tout le monde une surprise extrême, ne fit pas la moindre impression sur le chevalier lui-même, et il ne s’expliqua pas comment son antipathie pour le jeu ne fit que s’accroître encore davantage, si bien que le lendemain matin, sous l’influence de la fatigue de corps et d’esprit causée par la veille et l’échauffement de la nuit, il prit très sérieusement la résolution de ne plus mettre le pied sous aucun prétexte dans une maison de jeu.

Il s’affermit encore dans cette résolution par suite de la conduite du vieux colonel, qui ne pouvait toucher une carte sans un malheur inconcevable, et qui, par une extravagance singulière, mettait maintenant son malheur sur le dos du chevalier. Il vint le prier souvent avec instance de venir jouer pour lui, ou, tout au moins, de se tenir à ses côtés pendant qu’il jouerait, pour chasser, par sa présence, le mauvais démon qui lui mettait dans la main des cartes frappées de malédiction. — On sait à quelles