Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/226

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préoccupation d’esprit, telle que je n’en avais jamais ressenti. Que l’on s’imagine le calme profond de la nuit, au sein duquel le sourd bruissement des flots et le murmure plaintif de la bise ressemblaient aux accords étranges d’un orgue gigantesque touché par des esprits aériens ; qu’on se figure encore les nuages se poursuivant d’une course rapide et qui parfois, recevant de la lune une transparence lumineuse, semblaient regarder, comme des géants ailés, à travers les arceaux des fenêtres : ne devais-je pas être pénétré d’un léger frisson, comme si un monde invisible et fantastique m’eût été révélé et manifesté.

Toutefois ce sentiment ressemblait plutôt à l’émotion qu’inspire une histoire de revenants vivement colorée, et qu’on trouve du charme à entendre raconter. Avec cela il me vint à l’idée que je ne saurais lire dans une meilleure disposition d’esprit le livre que je portais dans ma poche, à l’exemple de tous les jeunes gens d’alors tant soit peu enclins aux idées romanesques : c’était le Visionnaire de Schiller.

Je me mis donc à lire, et plus je lisais, plus je sentais s’échauffer mon imagination. J’arrivai à ce récit, que distingue une puissance si magique d’entrainement, de la noce célébrée chez le comte de V***. Justement à l’endroit où l’auteur fait paraître la figure ensanglantée de Jéronimo, la porte de l’antichambre s’ouvre avec fracas !… Saisi d’effroi, je bondis sur mon siége, et le livre tombe de mes mains. — Mais tout rentre dans le silence au moment