Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/240

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d’une mélancolie vague et profonde, tandis que l’expression gracieuse de son sourire céleste faisait rêver à d’ineffables délices. Souvent elle paraissait tout entière perdue dans ses réflexions, et sur son charmant visage passaient des ombres chagrines ; moi, dans ce moment-là j’imaginais que de tristes pressentiments venaient frapper son esprit et lui révéler un funeste avenir, et sans pouvoir me rendre compte de mes bizarres suppositions, je combinais ces présages de malheurs avec l’idée des revenants du château.

Le lendemain de l’arrivée du baron, toute la société se réunit à déjeuner. Mon grand-oncle me présenta à la baronne ; mais, comme cela arrive fréquemment dans la disposition d’esprit où je me trouvais, je me comportai de la manière la plus ridicule en m’embrouillant pour répondre aux plus simples questions. Ainsi l’aimable dame m’ayant demandé si je me plaisais au château, je m’enfilai dans les discours les plus extravagants et les plus sots, au point que les vieilles tantes, attribuant mon extrême embarras tout simplement au profond respect que devait m’inspirer la noble et grande dame, se crurent obligées de s’intéresser complaisamment à moi et me recommandèrent à la baronne dans leur détestable français comme un jeune homme plein de dispositions et d’intelligence, d’ailleurs très joli garçon.

Cela me causa un vif dépit, et, redevenu tout à coup parfaitement maître de moi-même, je lançai à l’improviste un bon mot en meilleur français que celui à l’usage des deux vieilles qui me regardèrent ébahies avec de grands yeux, en bourrant de tabac