Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/241

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leurs nez longs et pointus par forme de contenance. Mais au regard sévère de la baronne, qui s’éloigna pour parler à une autre personne, je compris que ce bon mot frisait une impertinence. Ma colère s’en augmenta, et je souhaitai de bon cœur que les deux vieilles fussent englouties au fond des enfers.

Les sarcasmes de mon grand-oncle m’avaient déjà depuis long-temps guéri des folles illusions de l’amour platonique et des langueurs sentimentales d’une passion enfantine ; mais je sentais bien que la baronne m’avait causé une impression plus vive et plus profonde qu’aucune autre femme : je ne voyais, je n’entendais qu’elle. Mon âme était pleine d’une émotion inconnue. Cependant j’étais bien intimement convaincu que ce serait une folie, une absurdité que de laisser se produire le moindre témoignage de mon amour, et je ne voyais pas moins d’impossibilité à l’aimer et à l’adorer en silence comme un écolier honteux ; car cette idée seule me faisait rougir. Je ne voulais pas, et l’aurais-je pu ? renoncer à la vue de l’imposante châtelaine, sans lui laisser pressentir les sentiments de mon âme, sans m’être enivré du doux poison de ses regards et de ses paroles ; après quoi, je me serais éloigné sans doute pour toujours emportant dans mon cœur son image sacrée !

Cette passion romanesque et délirante s’empara tellement de moi que, dans mes nuits sans sommeil, j’avais l’enfantillage de me haranguer moi-même d’une manière pathétique, évoquant devant moi l’objet de ma flamme, et m’écriant avec des gémissements lamentables : « Séraphine ! ah ! Séraphine ! »