Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/253

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sorte, une traduction hiéroglyphique du sentiment de l’infini qui repose au fond de notre âme. Qui n’a pas rêvé en entendant cette chansonnette espagnole dont les paroles n’ont guère plus de valeur que : « Avec ma bien-aimée je voguais sur la mer ; le temps devint orageux, et ma bien-aimée chancelait sur la barque, saisie d’effroi. Non !… je ne voguerai plus avec ma bien-aimée sur la mer. » — C’est ainsi que l’ariette de la baronne ne disait autre chose que : « L’autre jour je dansais avec mon bon ami à la noce. Il tomba de mes cheveux une fleur qu’il ramassa, et il me la rendit en disant : Quand irons-nous de nouveau à la noce, ô ma bien-aimée ! »

Lorsque j’accompagnai le second couplet d’arpèges rapides, lorsque plein d’un enthousiasme passionné je surprenais la mélodie des airs suivants au premier mouvement des lèvres de la baronne, elle et mademoiselle Adelheid me tinrent pour le plus habile des virtuoses, et je fus accablé de pompeux éloges.

La clarté des bougies de la salle de bal, située dans l’aile latérale, se réfléchit jusque dans la chambre de la baronne, et les sons bruyants des trompes et des cors de chasse annoncèrent qu’il était temps de se joindre à la société. « Hélas ! il faut donc que je parte ! s’écria la baronne en se levant avec vivacité, — vous m’avez fait passer une heure délicieuse : jamais jusqu’ici je n’ai joui de plus doux moments à R....sitten. » En disant ces mots, la baronne me tendit la main ; l’ayant saisie dans une ivresse ineffable pour la porter à mes lèvres, je sentis sous mes doigts tous ses nerfs tressaillir…