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Page:Hoffmann - Contes fantastiques, trad. Christian, 1861.djvu/12

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tait souvent dans un embarras cruel. Il était assez difficile de nouer connaissance avec cet homme bizarre, mais il tenait beaucoup à ses amis. Il n’aimait pas la société des femmes, et la haine qu’il avait vouée aux femmes savantes le faisait souvent sortir des bornes de la politesse. Lorsqu’une dame auteur avait le malheur de lui faire des avances et venait s’asseoir près de lui table, il prenait son couvert et courait s’asseoir à l’autre extrémité. Quant aux hommes, il accordait la préférence à ceux qui l’amusaient, c’est-à-dire à ceux qui avaient la repartie vive et spirituelle et qui savaient dire des anecdotes, ou qui prenaient plaisir à l’écouter. Quand il recevait chez lui, Hoffmann était extrêmement aimable. Il supportait alors avec une patience angélique des travers et des sottises qui l’eussent mis en fuite en toute autre circonstance. Son humeur était des plus variables ; dans son journal il a laissé une foule d’expressions par lesquelles il désignait les différentes dispositions d’esprit qu’il remarquait en lui ; en voici quelques-unes : humeur romantique et religieuse ; humeur exaltée, humoristique, tenant de la folie ; humeur exaltée musicale ; humeur romantique désagréablement exaltée, capricieuse à l’excès, poétiquement pure, très-confortable, roide, ironique, très-morose, excessivement caduque, exotique, mais misérable ; « humeur poétiquement pure, dans laquelle, dit-il, j’éprouvais un profond respect pour moi-même. »

« Hoffmann était continuellement obsédé par une idée qui donne en quelque sorte la clef de ses ouvrages. Il avait la conviction que le mal se cache toujours derrière le bien ; ou, comme il s’exprimait, que le diable met sa queue sur toutes choses. Son âme était continuellement en proie à des pressentiments funestes ; toutes les figures effrayantes qui paraissent dans ses ouvrages, il les voyait près de lui quand il écrivait : aussi lui arrivait-il souvent de réveiller sa femme au milieu de la nuit, et de la prier de se tenir assise et les yeux ouverts tandis qu’il travaillait. Ses écrits portent le cachet de la vérité ; en général, il y a peu de poëtes qui offrent une identité aussi prononcée avec leurs créations. Le même écrivain qui peignait les effets terribles avec une énergie si saisissante excellait dans la satire et dans la caricature, et il se remettait des terreurs qui secouaient son âme, en contemplant les folles créations que son imagination enfantait dans des moments de calme et de gaieté. Hoffmann n’attachait aucune estime à celles de ses productions où les deux qualités distinctives de son esprit ne se reproduisent pas, comme, par exemple, le Tonnelier de Nuremberg le meilleur de ses ouvrages. Ses lectures étaient très-restreintes ; il ne connais-