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Page:Hoffmann - Contes fantastiques, trad. Christian, 1861.djvu/13

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sait que les poëtes du premier ordre, et s’inquiétait fort peu des nouveautés littéraires du jour. Il puisait les sujets de ses contes dans son imagination, dans de vieilles chroniques, ou dans les observations qu’il recueillait au cabaret et dans les autres lieux de réunion qu’il fréquentait. Les jugements des journaux ne lui causaient nulle émotion, et rarement il les lisait ; les critiques de ses amis avaient seules quelque valeur a ses yeux. »

La première apparition en France des Contes fantastiques, l’étrangeté de cette œuvre fit une rapide fortune ; mais, comme une loi fatale veut qu’à chaque génie s’attache une persécution, ceux qui se disaient les interprètes d’Hoffmann le bafouèrent misérablement ; la caricature le cloua, comme un autre Silène, à cheval sur une tonne de bière ; elle l’enveloppa de la nauséabonde vapeur de l’estaminet, elle le couvrit de taches de vin, et, pour fermer à son livre l’accès de la bonne compagnie, elle en fit un produit d’ivresse et de dérèglements. Il est temps de protester contre cet odieux mensonge, qui a séduit Walter Scott en même temps que tout un public trop facile à se laisser tromper. L’homme que des critiques ignorants ou jaloux ont si souvent calomnié mourait, le 25 juin 1822, à la fleur de l’âge, conseiller de justice à Berlin. Sa vie, dévorée par les longues souffrances d’une maladie aiguë, s’éteignait entre sa femme désolée et quelques amis qui vivent encore pour honorer la mémoire du magistrat, le génie du poëte et le souvenir des vertus de l’homme privé.

Hoffmann est un homme qui sait la vie par expérience : il a travaillé et souffert ; il a épuisé, comme tant d’autres, sa part de désillusions. À l’époque où il commence à écrire ses Contes, il touche aux trois quarts des jours que Dieu lui mesure : c’est en 1814 ; les orages sont passés, sa position s’est affermie, son rang est entouré d’honneur et de considération ; l’Allemagne a consacré son génie d’écrivain ; la vogue vient à lui comme la gloire, toutes deux accaparent chèrement ses loisirs. Mais Hoffmann domine le monde, il dédaigne ses éloges, il prend en pitié ses séductions. Autrefois il l’avait en haine à cause de sa dureté, maintenant il le voit avec ses petitesses, avec ses ridicules,