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Page:Hoffmann - Contes fantastiques, trad. Christian, 1861.djvu/21

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bilement qu’il rédige ses mémoires ; dès qu’il a fini un de ces instruments, il l’essaye pendant une heure ou deux, et en tire des sons ravissants ; puis il l’accroche au mur à la suite des autres et n’y touche plus. S’il peut acheter le


violon d’un maître célèbre, il en joue une fois, le démonte pièce à pièce, et en jette les morceaux dans un grand coffre qui en est déjà rempli. — Mais qu’est-ce qu’Antonia ? demandai-je avec impatience. — C’est un mystère, reprit gravement le professeur. Le conseiller vivait, il y a quelques années, dans une maison isolée de la rue ***, avec une vieille gouvernante. La singularité de ses mœurs excita la curiosité de son visage. Pour s’y soustraire, il fit quelques connaissances et se montra dans quelques salons. Il était aimable, on l’aima ; on le croyait célibataire, il ne parlait jamais de sa famille. Au bout d’un certain temps, il s’absenta plusieurs mois. Le jour même de son retour, on vit le soir son appartement illuminé ; une ravissante voix de femme mêlait ses accord à ceux d’un clavecin, et un archet puissant tiré d’un violon de magiques accords. Les passants s’arrêtaient dans la rue, et les voisins écoutaient aux fenêtres. Vers minuit, le chant cessa ; la voix du conseiller s’éleva, dure et menaçante ; une autre voix d’homme semblait lui adresser des reproches, et, de temps en temps, les plaintes d’une jeune fille interrompaient la discussion. Tout à coup la jeune fille poussa un cri perçant, puis on entendit sur l’escalier un bruit de gens qui se heurtaient. Un jeune homme sortit de la maison en pleurant, se jeta dans une chaise de poste, qui l’attendait à quelques pas, et tout rentra dans un morne silence. Chacun se demandait le secret de ce drame. Le lendemain, Krespel parut calme et serein comme à son ordinaire, et nul n’osa le questionner. Mais la vieille gouvernante ne put résister à la tentation de dire tout bas, à qui voulait l’entendre que M. le conseiller avait amené avec lui une belle jeune fille du nom d’Antonia ; qu’un jeune, éperdument amoureux d’elle, les avait suivis, et qu’il n’avait fallu rien moins que la colère du conseiller pour le chasser de la maison. Quant aux rapports d’Antonia avec le conseiller, c’était un secret dont la bonne vieille n’avait pas la clef. Seulement, elle disait que maître Krespel séquestrait odieusement la jeune fille, ne la quittait jamais de l’œil, et ne lui permettait même plus de chanter, pour se distraire, en s’accompagnant du clavecin. Aussi le chant d’Antonia, qui ne s’était fait entendre qu’une seule