Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/170

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Il dit alors : « Si vous avez de la patience, mes chers Messieurs, je vais sur-le-champ, avec l’histoire de Falieri, vous donner la clef de ce tableau ; mais avez- vous beaucoup de patience ? Je serai fort prolixe, car je n’aime pas parler autrement de choses qui sont aussi vivantes devant mes yeux que si j’en avais été moi-même témoin. C’est d’ailleurs, pour ainsi dire, le cas en cette circonstance. Car tout historien, et je vais l’être en ce moment, c’est, en vérité, un spectre qui raconterait les événements passés2. »

Les deux amis entrèrent avec l’étranger dans une chambre écartée, où, sans autre préambule, il commença de la manière suivante :

C’était il y a bien longtemps, et, si je ne me trompe, dans le mois d’août de l’année 1354, à l’époque où le vaillant général génois, Paganino Doria, aprés avoir rudement battu les Vénitiens, venait de prendre d’assaut leur ville de Parenzo. Dans le golfe, en vue de Venise, ses galères bien armées croisaient alors en tout sens, comme des bêtes de proie affamées qui, dans leur avide transport, vont et viennent épiant de quel côté la proie est plus facile à saisir, et un effroi mortel se répandit à Venise parmi le peuple et les patriciens. Toute la population mâle, tout homme à qui il restait l’usage de ses bras, se munit d’une arme ou d’un aviron. On rassembla les troupes dans le port de San-Nicolò. Des navires, des arbres furent coulés à fond, et des chaines doubles tendues, afin d’empêcher l’abord de l’en-