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Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/171

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nemi. Pendant qu’ici résonnaient le fracas des armes entassées et le sourd retentissement des blocs massifs qu’on amoncelait sous les vagues jaillissantes, on voyait sur le Rialto3 les agents de la seigneurie, essuyant la sueur froide de leur front, le visage pâle et consterné, s’épuiser à offrir intérêts sur intérêts pour obtenir de l’argent comptant, car c’était encore ce qui manquait à la république menacée. Bien plus, il était écrit dans les décrets impénétrables de la volonté éternelle, que, dans ce moment même d’anxiété et d’angoisse, le troupeau en détresse serait privé de son fidèle pasteur. Le doge, Andrea Dandolo, mourut accablé du poids des malheurs publics, lui que le peuple appelait son cher petit comte (il caro contino), à cause de son caractère constamment bon et aimable, et parce qu’il ne traversait jamais la place Saint-Marc, sans avoir, au service de quiconque avait besoin d’argent ou de bons conseils, des consolations à la bouche pour l’un, et pour l’autre des sequins dans la poche. — Or, comme d’aprés l’ordre naturel des choses, tel coup, qui serait à peine sensible dans les circonstances ordinaires, frappe d’une affliction doublement douloureuse ceux qu’a découragés l’infortune, le peuple parut tout-à-fait dans le délire du chagrin et du désespoir, quand les cloches de Saint-Marc annoncèrent ce décès par des tintements sourds et lugubres. Leur appui, leur dernière ressource étaient perdus, il ne restait qu’à courber la tête sous le joug génois : telles étaient les lamentations des Vénitiens ; et pourtant la mort de Dandolo ne devait pas, à la