Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/182

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de fatigue et presque privé de connaissance par la douleur que lui causait sa blessure rouverte, il était étendu sous les arcades du palais du doge. Sa surprise fut d’autant plus grande, quand, à la chute du jour, un garde ducal le prit par les épaules en lui disant : « Viens, mon bon ami, » et le poussa dans les salles du palais jusqu’à la chambre du doge. Le vieillard s’avança à sa rencontre avec bienveillance, et lui montrant deux sacs posés sur la table : « Tu t’es bravement conduit, mon fils, dit-il, tiens, prends ces trois mille sequins. Si c’est trop peu, demandes-en davantage ; mais fais-moi la grâce de ne plus jamais reparaître devant moi. » —

À ces derniers mots, de ses yeux jaillirent deux éclairs et son nez se colora d’une plus vive rougeur. Antonio ne concevait rien à l’irritation du vieillard, aussi ne s’en émut-il guère ; mais il chargea avec effort sur ses épaules les deux sacs qu’il croyait avoir bien légitimement gagnés.

Revêtu des brillants insignes de sa nouvelle dignité, le vieux Falieri, le lendemain matin, regardait des fenêtres cintrées du palais le peuple gaîment occupé à des exercices guerriers. Bodoeri, lié avec lui, dès l’enfance, d’une amitié constante, entra dans la chambre, et comme le doge, absorbé par ses réflexions et l’idée de sa grandeur, ne paraissait pas s’apercevoir de sa présence, le sénateur s’écria en frappant des mains et en riant : « Eh ! Falieri, quelles graves pensées germent donc et se croi-