Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/184

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tience, tu parles de la solennité du jour de l’Ascension et de la cerémonie de ton mariage avec la mer Adriatique, quand du haut du Bucentaure tu jetteras dans les vagues ton anneau d’or. Toi, Marino, familier de la mer, n’envies-tu donc pas d’autre fiancée que cet élément perfide, froid et inconstant ? Imagines-tu parvenir à le dominer, quand hier encore il se souleva contre toi d’une manière si menaçante ? Comment te complairais-tu à reposer dans les bras d’une pareille épouse qui, par le plus fou des caprices, s’est mise à tempêter et à te chercher querelle au moment où, glissant sur le Bucentaure, tu caressais à peine son sein bleuâtre et glacé ? Toutes les flammes d’un Vésuve ne suffiraient pas à réchauffer le cœur insensible de cette femme infidèle, qui, dans sa perpétuelle inconstance, en volant d’un hyménée à l’autre, reçoit les bagues nuptiales, non comme des gages d’amour, mais comme un tribut qu’elle arrache de vive force à ses humbles esclaves. — Non, Marino, j’avais pensé, moi, que tu choisirais pour épouse la plus belle, la plus parfaite des filles de la terre.

— Tu radotes, j’imagine, murmura Falieri sans se détourner de la fenêtre, tu radotes, mon vieux ; moi, un octogénaire épuisé de travail et de fatigue, qui n’ai jamais eu de femme, qui suis à peine capable d’aimer encore ? — Arrête, dit Bodoeri, ne te calomnie pas toi-même de la sorte. Quoi donc ! — L’hiver, quelque rude et glacial qu’il soit, n’étend-il pas enfin les bras avec amour vers la déité charmante qui vient à sa rencontre portée par les vents tiédes de l’occident ? —