Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/185

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Et lorsqu’il la presse contre son sein engourdi, lorsqu’une douce chaleur pénètre en ses veines, que deviennent alors et les neiges et les frimas ? Tu as quatre-vingts ans, dis-tu, cela est vrai ; mais ne mesures-tu la vieillesse qu’au nombre des années ? Ne portes-tu pas ta tête aussi droite, ou marches-tu d’un pas moins assuré qu’il y a quarante étés ? — Mais peut-être sens-tu que ta vigueur a diminué, qu’il te faut porter une épée moins lourde, qu’une marche rapide t’affaiblit, que tu gravis avec peine les marches du palais ducal…

— Non, par le ciel ! dit Falieri avec feu, interrompant son ami et quittant la fenêtre pour s’avancer vers lui, non, par le ciel, je n’éprouve rien de tout cela. — Eh bien, reprit Bodoeri, recueille donc dans ta vieillesse toutes les jouissances que l’offre encore la terre. Élève au rang de dogaresse celle que j’ai en vue pour toi ; et les femmes de Venise seront forcées de la reconnaitre pour la première de toutes en beauté et en vertu, comme les Vénitiens reconnaissent en toi leur chef en énergie, en sagesse et en courage. »

Bodoeri commença alors à tracer un exquis portrait de femme, et il sut le colorer de touches si vives et si bien nuancées, que les yeux du vieux Falieri lançaient des éclairs, que le sang vint colorer de plus en plus son visage, et qu’en avançant les lèvres il fit claquer sa bouche comme s’il eût avalé coup sur coup du meilleur vin de Syracuse. « Oh ! dit-il enfin en souriant, et quelle est donc cette merveille de grâce dont tu parles ?