Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/191

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gardé aucun souvenir du passé, de ce que tu as été, de ce que tu faisais avant d’être réduit à gagner ton pain ici comme un pauvre diable ? » Antonio soupira profondément, puis il s’assit auprès de la vieille et parla ainsi :

« Hélas ! ma bonne mère, je ne sais que trop bien que les auteurs de mes jours vivaient dans la plus grande aisance ; mais mon esprit n’a gardé aucun souvenir de ce qu’ils étaient, ni de la manière dont je fus séparé d’eux. Je me rappelle fort bien un bel homme de grande taille, qui me prenait souvent dans ses bras, me caressait et me mettait des bonbons dans la bouche. J’ai souvenance aussi d’une aimable et jolie femme qui m’habillait et me déshabillait, qui chaque soir me mettait dans un petit lit bien doux et avait enfin une foule de bonnes attentions pour moi. Tous les deux me parlaient dans une langue étrangére et sonore, et moi-même je bégayais avec eux quelques mots de la même langue. Quand j’étais rameur, les camarades, qui m’en voulaient, avaient coutume de dire que mes cheveux, mes yeux et la structure de tout mon corps, indiquaient mon origine allemande. Je crois aussi que c’était en allemand que me parlaient ceux qui avaient soin de moi, et l’homme était certainement mon père. Le souvenir le plus vif qui me soit resté de cette époque, c’est l’image d’une nuit d’horreur, dans laquelle je fus réveillé de mon profond sommeil par un affreux cri de désespoir. On courait çà et là dans la maison, les portes s’ouvraient et se refermaient avec fracas, je fus saisi de terreur, et je me pris à sangloter bruyam-