Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/190

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d’une vive douleur. Antonio éprouva intérieurement une émotion singulière ; il soutint la vieille et la conduisit jusque sous le portail de l’église Saint-Marc, où il la fit asseoir sur un banc de marbre. Puis ayant débarrassé sa tête de l’ignoble lambeau de drap : « Vieille, lui dit-il, tu m’as fait du bien, oui, à proprement parler, c’est à toi que je dois tout mon bonheur : car si tu ne m’avais pas assisté dans mon piteux état, je serais depuis long-temps au fond de la mer, je n’aurais pas sauvé le doge, et je n’aurais pas touché les sequins précieux ; mais quand même tu ne m’aurais pas procuré tout cela, je sens que je te devrais encore pour la vie une affection spéciale, en dépit de tes étranges folies et de cette maudite façon de ricaner qui m’irrite trop souvent. En effet, la vieille, quand j’étais à gagner péniblement ma vie, en faisant le métier de porte-faix, il me semblait toujours que j’étais dans l’obligation de travailler davantage pour pouvoir te donner quelques quattrini. —

— Ô fils de mon cœur, mon Tonino chéri ! dit la vieille en levant ses bras décharnés au ciel, de sorte que son bâton s’échappant alla rouler sur les dalles : Ô mon Tonino ! je le sais bien que de toute manière tu dois m’être attaché de toute ton âme, car…, mais silence, silence ! silence. » — Antonio voyant la vieille se courber péniblement pour relever son bâton, le ramassa et le lui rendit. La bonne femme alors, appuyant dessus son menton effilé et le regard fixé à terre, lui demanda d’une voix sourde et comprimée : « Dis-moi, mon enfant, n’as-tu