Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/199

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s’assit sur les marches de manière à tourner le dos à la vieille, et il tira de sa poche son calepin dont les feuilles blanches témoignaient de l’activité de ses affaires commerciales sur le Rialto. « Tonino, dit alors la vieille à voix basse, Tonino, quand tu considères ma figure ridée, n’as-tu aucun soupçon de m’avoir déjà connue à une époque bien antérieure ?

— Je t’ai déjà dit, répondit Antonio tout bas aussi et sans se retourner, je t’ai déjà dit, la vieille, que j’éprouve pour toi un penchant irrésistible, mais ce n’est pas à cause de ta laide figure toute ridée ; bien au contraire, quand j’examine tes yeux hagards, noirs et étincelants, ton nez allongé, tes lèvres violettes, ton menton avancé, tes cheveux mats de blancheur et confusément épars, quand j’entends surtout ton rire, ton ricanement diabolique et tes mystérieux discours, — ah ! alors, je suis disposé à te fuir avec horreur, et à croire que tu mets en œuvre quelqu’infâme sortilége pour m’attirer à toi. — Ô Seigneur du ciel ! s’écria la vieille avec l’accent d’une douleur sans égale, quel funeste démon a pu t’inspirer d’aussi affreuses pensées ! Ô Tonino, mon doux Tonino, cette femme qui prenait tant de soins de toi dans ton enfance, qui, dans cette nuit de terreur, te sauva d’un danger de mort, cette femme, eh bien, c’était moi ! » Antonio saisi se retourna vivement, mais, quand il eut regardé en face le visage repoussant de la vieille, il s’écria avec colère : « Crois-tu m’abuser de la sorte, vieille folle maudite ! Les rares souvenirs qui me sont restés de mon jeune âge sont, pour moi, vivants et frais encore. La femme char-