Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/198

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tends-tu bien le murmure du vent du soir, le bruissement plaintif de la mer ? — Rame courageusement, hardi gondolier ! rame courageusement. » —

Antonio se sentit pénétré d’effroi aux singuliers discours de la vieille, qui n’avait pas cessé de ricaner, et dont la voix avait un accent étrange. Ils étaient arrivés près de la colonne que surmonte le lion adriatique. La vieille voulait passer outre tout en continuant à marmotter. Antonio, irrité contre elle et voyant l’attention des promeneurs provoquée sur lui par sa compagnie, s’arrêta là et d’une voix brusque : « Un moment, dit-il, assieds-toi sur ces degrés, vieille, et fais trêve à ton verbiage qui finirait par me rendre fou. Il est vrai, tu m’as prédit les sequins à la vue des nuages dorés ; mais que me contes-tu là d’ange de lumière, — de fiancée, — de jeune veuve, — de roses et de myrtes ? — Veux-tu donc me duper, affreuse vieille, pour qu’une folle témérité me précipite dans l’abime ? Tu auras un nouveau capuchon, du pain, des sequins, tout ce que tu désires, mais laisse-moi. » — Antonio allait s’éloigner rapidement, mais la vieille le saisit par son manteau, et s’écria d’une voix glapissante : « Tonino, mon Tonino, regarde-moi, une seule fois encore, sinon il faudra que j’aille, là-bas, au bout de la place et que je me précipite dans la mer ! » — Antonio, pour ne pas attirer plus de regards curieux qu’il n’y en avait déjà de dirigés sur lui, resta effectivement en place. « Tonino, continua la vieille, assieds-toi là, près de moi, j’ai quelque chose sur le cœur qu’il faut que je te confie. — Ho ! assieds-toi là près de moi. » Antonio