Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/218

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Antonio, répliqua Pietro en sautant dans la barque qui vacilla longtemps après, eh ! je gagne aujourd’hui les trois sequins : c’est moi qui fais l’ascension jusqu’au haut de la tour de Saint-Marc, et qui remets, en redescendant, ce bouquet à la belle dogaresse. — N’est-ce pas une entreprise à se casser le cou, camarade Pietro ? » demanda Antonio. — « Ma foi, répondit l’autre, c’est bien possible, et puis aujourd’hui ça passe à travers le feu d’artifice. Le Grec dit bien que tout est disposé de telle sorte que pas un cheveu ne risque d’être brûlé ; mais… » Pietro secoua la tête. Antonio était descendu dans la barque, et il s’aperçut alors seulement qu’ils étaient à côté de la machine, devant la corde attachée sous l’eau. D’autres cordes, qui faisaient mouvoir le mecanisme, se perdaient dans les ombres. « Écoute, Pietro, dit Antonio après un court silence, écoute, camarade, si tu pouvais ce soir gagner dix sequins, sans mettre ta vie en péril, n’aimerais-tu pas mieux cela ? — Eh, vraiment oui ! répondit Pietro en riant très fort. — Eh bien, reprit Antonio, prends ces dix sequins, change d’habits avec moi, et cède-moi ton rôle. Je monterai à ta place. Fais cela, mon bon camarade Pietro. » Pietro hocha la tête d’un air pensif, et pesant l’or dans sa main : « Vous êtes bien bon, dit-il, signor Antonio, de m’appeler toujours comme autrefois votre bon camarade, un pauvre diable tel que moi ; — et vous êtes plus généreux encore ! — Voilà de bon argent, sans doute ; mais, dam ! remettre en main propre le bouquet à la belle dogaresse, entendre d’aussi près sa petite voix douce… Ah ! c’est-là