Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/219

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le vrai motif qui fait qu’on met sa vie en jeu. — Allons, puisque c’est vous, signor Antonio, j’y consens. » Tous deux jetèrent bien vite leurs habits bas. Antonio avait à peine eu le temps de se rhabiller, que Pietro s’écria : « Vite ! dans la machine ; le signal est déjà donné. »

En effet, au même instant, la mer resplendit du reflet de mille éclairs étincelants, l’air et le rivage retentirent du fracas de mille tonnerres qui grondaient en tourbillonnant. Antonio traversa avec la rapidité de l’ouragan les sifflements et le pétillement des flammes, jusqu’au faite de la tour, d’où il s’abattit immédiatement, sain et sauf, au niveau de la galerie, suspendu à deux pas de distance de la dogaresse.

Elle s’était levée et approchée. Antonio sentit son haleine caresser ses joues, — il lui présenta le bouquet ; mais, soudain au sein de cette extase de volupté céleste et indicible, la sensation poignante d’un amour sans espoir vint l’oppresser d’une étreinte brûlante. — Éperdu, enivré de désir, égaré par la douleur et le ravissement, il saisit la main de la dogaresse et s’écria avec l’accent déchirant d’un désespoir incurable : — « Annunziata ! » — Mais la machine, comme l’organe aveugle du destin lui-même, l’emporta jusqu’à la mer, où Pietro, qui l’attendait dans sa barque, le reçut entre ses bras défaillant et consterné.

Pendant ce temps tout était en mouvement et en désordre sur la galerie. Sur le siége du doge on