Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/226

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se faisait une règle de visiter sa femme malade presque d’heure en heure.

Plusieurs jours s’étaient écoulés, la dogaresse avait été complètement guérie par la vieille ; mais il était encore impossible de conduire Antonio près d’elle. La vieille consolait de son mieux l’amoureux impatient en continuant à lui raconter ce qu’elle disait avec la belle Annunziala de lui, d’Antonio qu’elle avait sauvé, et qui l’aimait si ardemment. Mais lui, tourmenté par l’angoisse du désir, le supplice de l’attente, courait sans cesse en gondole ou sur les places, et ses pas le ramenaient toujours involontairement au palais ducal.

Derrière le palais, près du pont que la prison avoisine, Pietro se tenait appuyé sur un bel aviron ; on voyait sur le canal, amarrée à un pilier, se balancer une gondole petite, mais recouverte d’une tente élégante richement sculptée, et surmontée du pavillon vénitien. C’était presque une image en miniature du Bucentaure. Pietro n’eut pas plus tôt aperçu son ancien camarade, qu’il lui cria à haute voix : « Je suis votre serviteur, signor Antonio, je suis heureux de vous voir, ah ! vos sequins m’ont porté bonheur. » Antonio lui demanda quel heureux sort l’avait favorisé, sans faire trêve à sa distraction ; il apprit néanmoins que Pietro conduisait presque tous les soirs le doge et la dogaresse à la Giudecca, où Falieri possédait une jolie maison tout près de San-Giorgio-Maggiore. Antonio regarda Pietro en face, puis il s’écria : « Camarade, tu peux gagner dix sequins et davantage si tu veux : laisse-moi prendre