Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/251

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cantatrice fort célèbre. — On servit un rôti de lièvre : j’observai que Krespel mettait soigneusement les os à part sur son assiette ; et qu’il demanda compte des pattes du lièvre, que la petite fille du professeur, enfant de cinq ans, lui apporta en souriant familièrement. Les enfants, du reste, avaient déjà considéré pendant le dîner le conseiller d’un air très amical ; à la fin ils se levèrent et s’approchèrent de lui, non sans une respectueuse timidité, et à la distance de trois pas. Que va-t-il se passer ? pensais-je en moi-même. — On apporta le dessert. Alors le conseiller tira de sa poche un coffret qui renfermait un petit tour en acier ; il l’assujettit à la table, et se mit à tourner dans les os du lièvre, et avec une adresse et une promptitude incroyables, toutes sortes de petites boites, de billes et de tabatières fort exiguës, que les enfants reçurent tout joyeux. Au moment de quitter la table, la nièce du professeur demanda : « Que devient donc notre Antonia, cher conseiller ? » Krespel fit une grimace comme quelqu’un qui mord une orange amère, et qui veut pourtant se donner l’air d’avoir goûté un fruit savoureux. Mais bientôt sa figure prit une expression courroucée affreuse à voir, et je lus dans son étrange sourire l’empreinte d’une ironie presque diabolique : «Notre… notre chère Antonia ? » demanda-t-il d’une voix traînante et désagréablement modulée. — Le professeur se hâta d’intervenir ; au coup d’œil de reproche qu’il lança à sa nièce, je sentis qu’elle venait de toucher une corde qui devait résonner d’une manière pénible pour Krespel. « Comment vont les violons ? »