Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/252

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demanda le professeur gaiment en serrant les mains du conseiller dans les siennes. Le visage de Krespel s’éclaircit aussitôt, et il répondit avec sa voix forte : « Parfaitement, professeur. J’ai commencé aujourd’hui à mettre en pièces l’excellent violon d’Amati, qu’un heureux hasard a fait tomber entre mes mains, comme je vous l’ai dernièrement raconté. J’espère qu’Antonia aura soigneusement démonté le reste. — Antonia est une bonne fille, dit le professeur. — Oui vraiment, c’est une bonne fille, » s’écria le conseiller ; et, se retournant brusquement, il saisit son chapeau et sa canne et s’élança précipitamment par la porte. Je remarquai dans un miroir qu’il avait les yeux baignés de larmes.

Dès que le conseiller fut parti, je pressai le professeur de m’apprendre quels rapports avait Krespel avec les violons et surtout avec Antonia.

« Ah ! dit le professeur, le conseiller, qui est un homme tout à fait merveilleux, fait aussi des violons, et il ne montre pas moins d’extravagance en cela que dans tout le reste. — Il fait des violons ! répétai-je tout étonné. — Oui, continua le professeur, Krespel confectionne, de l’avis des connaisseurs, les meilleurs violons que produise notre époque. Autrefois quand il avait réussi dans son travail, on était libre de faire usage de l’instrument ; mais, depuis quelque temps, il a tout à fait changé de méthode. Dès qu’il a terminé un violon, il en joue pendant une heure ou deux, et cela avec un talent des plus rares, avec l’expression la plus entraînante, et puis il l’accroche auprès des autres, pour n’y plus jamais