Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/331

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voilà mes yeux à moi, — belli occhi, Signor ! » Et il sortait lunettes sur lunettes, si bien que toute la table commença à rayonner et à scintiller d’une singulière façon. Nathanael voyait des milliers d’yeux croiser sur lui leurs regards et s’agiter convulsivement, mais sans pouvoir détourner sa vue de cet aspect ; et Coppola déposait toujours plus de lunettes sur la table, et de nouveaux yeux étincelants lançaient des éclairs de plus en plus redoutables sur Nathanael, qui sentait leurs rayons d’un rouge de sang pénétrer ardemment dans sa poitrine. Excédé de cette terreur insensée, il s’écria : « Arrête ! arrête, homme enragé ! » — Il saisit en même temps par le bras Coppola, qui portait de nouveau la main à ses poches pour en sortir encore d’autres lunettes, quoique la table en fût déjà toute couverte. Coppola dégagea doucement son bras avec un rire sourd et déplaisant, et dit : « Ah ! — rien pour vous ? — ma ici souperbes verres ! » — Il avait ramassé et empoché toutes ses lunettes, et il tira de la poche latérale de son habit force lorgnettes de toutes les dimensions.

Dès que les lunettes eurent disparu, Nathanael redevint tout-à-fait calme, et en pensant à Clara, il vit bien que cette illusion de sorcellerie n’avait de fondement que dans son esprit, et que Coppola ne pouvait être qu’un simple mécanicien, un honnête opticien, et nullement un odieux fantôme ni le ménechme de Coppelius. D’ailleurs tous les verres que Coppola venait d’étaler de nouveau sur la table n’offraient rien d’extraordinaire ni aucune fascina-