Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/374

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obligé de convenir en la voyant que l’étranger avait merveilleusement choisi son cadeau pour la plus grande satisfaction de Giorgina, et il en fit la remarque assez froidement.

Mais celle-ci répétant que l’étranger était sans doute envoyé par son bon ange pour la faire passer de sa profonde misère à une plus douce vie, dit à Andrés qu’elle ne pouvait concevoir son silence et son extrême réserve vis-à-vis de l’étranger, ni la tristesse dont il paraissait affecté. « Ah ! chère et bien-aimée femme, dit Andrés, c’est que cette voix intérieure, qui m’a déjà prescrit si nettement comme un devoir de n’accepter aucun don de cet étranger, n’a pas cessé depuis lors de se faire entendre, et m’adresse secrètement de vifs reproches. J’ai presque des remords, comme si cet argent était pour moi la source d’un bien illicite, et cela fait que je ne puis franchement me réjouir de notre bien-être récent. Je suis à même, il est vrai, de me restaurer, plus souvent qu’autrefois, d’un bon verre de vin ou de quelque mets succulent. Mais, crois-moi, ma Giorgina, lorsqu’arrivait une bonne vente de bois, et quand le bon Dieu m’avait fait échoir quelques gros honorablement gagnés de plus qu’à l’ordinaire, eh bien je trouvais alors plus de plaisir à boire un verre de méchant vin, que celui si parfait que l’étranger nous apporte. — Décidément il m’est impossible de sympathiser avec ce singulier marchand, et souvent même j’éprouve en sa présence je ne sais quel trouble pénible. As-tu bien remarqué, chère femme, qu’il ne peut jamais regarder franchement en face ?