Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/53

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vous n’avez pas seulement mûri votre jugement par l’habitude de voir et de réfléchir, mais vous avez dû vous-même manier le pinceau.

« Souvenez-vous, mon cher maître, répondit Antonio, que je vous ai déjà parlé, au début de votre convalescence après ce profond évanouissement, de maintes choses qui me pesaient lourdement sur le cœur. Je pense que le moment est venu de vous dévoiler en entier le fond de mon âme. Eh bien donc, tout en étant Antonio Scacciati, le chirurgien qui vous a saigné, j’appartiens cependant tout entier à l’art auquel je veux me vouer sans réserve en jetant de côté ce métier maudit.

« Ho ! ho ! s’écria Salvator, réfléchissez à cela, Antonio : vous êtes chirurgien habile, et vous deviendrez peut-être et peut-être resterez-vous peintre fort médiocre. Car, excusez moi, si jeune que vous pouvez être, vous êtes pourtant déjà trop âgé pour commencer à prendre le charbon en main, quand à peine la vie d’un homme suffit pour acquérir quelques notions de la science du vrai, et surtout la capacité de la pratique.

« Eh ! répliqua Antonio avec un léger sourire, comment aurais-je pu concevoir la folle idée de m’adonner à cette heure à l’art si difficile de la peinture, si je ne m’y étais pas exercé dès ma plus tendre jeunesse, si, par la faveur du ciel, et malgré les efforts opiniâtres de mon père pour me rendre étranger tout ce qui dépend de l’art, je n’avais cependant fréquenté des maîtres célèbres. Sachez que le grand Annibal5 s’est intéressé au pauvre enfant délaissé, et