Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/66

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la Madeleine aux pieds du Christ, ce tableau, qu’à juste titre vous avez proclamé supérieur à toutes les productions de ces derniers temps, n’est pas l’ouvrage d’un peintre napolitain, mort, comme je l’ai supposé, pour obvier à un jugement entaché de prévention ; ce tableau, dis-je, ce chef-d’œuvre objet de l’admiration de Rome entière, est de la main d’Antonio Scacciati le chirurgien ! »

Les peintres muets et interdits, comme frappés par la foudre, regardaient Salvator. Celui-ci s’amusa quelques moments de leur perplexité, et reprit ensuite : « Eh quoi, Messieurs, vous n’avez pas voulu accueillir ce digne Antonio parce qu’il était chirurgien ; moi je suis d’avis, au contraire, qu’un chirurgien sera loin d’être inutile dans la haute Académie de San-Luca, pour remettre les membres aux figures estropiées qui sortent quelquefois des ateliers de certains de vos confrères. Mais à présent ne différez plus ce que vous auriez dû faire il y a longtemps, à savoir, d’admettre l’habile peintre Antonio Scacciati dans le sein de l’Académie. »

Les académiciens avalèrent la pilule, toute amère que l’eût rendue Salvator : ils firent mine de se réjouir hautement qu’Antonio eût donné de son talent une preuve aussi décisive, et le nommèrent avec de pompeuses cérémonies membre de l’Académie.

À peine sut-on dans Rome qu’Antonio était l’auteur du merveilleux tableau, qu’il lui parvint de toutes parts des compliments et des offres même pour l’exécution de plusieurs grands ouvrages. C’est ainsi que le jeune homme fut tout d’un coup tiré