Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de l’obscurité par la prudente adresse de Salvator, et qu’il parvint aux premiers honneurs dès son début réel dans la carrière des beaux-arts.

Antonio se voyait comblé de bonheur et de succès ; il surprit donc étrangement Salvator, lorsqu’au bout de quelques jours il se présenta chez lui morne, pâle, défiguré, le désespoir en personne. « Ah ! Salvator, lui dit-il, à quoi me sert cette élévation à laquelle je devais si peu m’attendre ? à quoi me sert d’être l’objet de tant de louanges et d’honneurs, et de voir s’ouvrir devant moi la perspective de la plus délicieuse existence d’artiste, puisque je suis malheureux au-delà de toute expression, et quand c’est justement le tableau auquel, après vous, mon cher maître, je suis redevable de ma victoire, qui a décidé irrévocablement de mon affreuse destinée ?

« Paix ! répondit Salvator, n’insultez ni à l’art, ni à votre tableau. Je ne crois nullement à cette infortune inouïe dont vous vous effrayez. Vous êtes amoureux et tout ne marche pas au gré de vos désirs, voilà tout. Les amoureux sont comme les enfants qui pleurent et se lamentent si peu qu’on touche à leur poupée. Laissez-là ces doléances, je vous en prie, elles me sont insupportables au dernier point. Asseyez-vous là : — Contez-moi tranquillement en quels termes vous êtes avec votre ravissante Madeleine, et l’histoire sommaire de vos amours, et mettez-moi au fait des pierres d’achoppement qu’il nous faut aplanir, car je vous promets d’avance mon secours. Plus les entreprises qu’il nous faudra tenter seront hasardeuses, plus je m’y