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casse-noisette.

soulier, qu’elle était sur le point de mourir. Mais en sentant les angoisses de la mort, elle s’écriait d’une voix lamentable :

— Ô krakatuk ! noix dure ! c’est toi qui causes ma mort. Hi hi ! pi pi ! le petit Casse-Noisette mourra aussi bientôt ; mon petit-fils aux sept têtes le récompensera ; il vengera la mort de sa mère sur toi, Casse-Noisette joli ! Ô vie si fraîche et si rose, il faut te quitter ! ô mort terrible ! — Couic !

La dame Mauserink expira en jetant ce dernier cri, et fut emportée par l’allumeur des poêles du roi.

Personne ne s’inquiétait du jeune Drosselmeier. La princesse rappela au roi sa promesse, et celui-ci ordonna d’amener aussitôt le jeune héros devant lui. Mais lorsque le malheureux apparut sous sa forme épouvantable, la princesse se cacha le visage de ses deux mains et s’écria :

— Éloignez cet affreux Casse-Noisette !

Aussitôt le maréchal de la cour le saisit par les deux épaules et le jeta à la porte. Le roi, furieux qu’on eût pensé à lui imposer un Casse-Noisette pour gendre, rejeta toute la faute sur l’horloger et l’astronome, et les bannit à jamais l’un et l’autre de sa résidence.

Cela ne se trouvait pas dans l’horoscope que l’astronome avait consulté à Nuremberg, cependant il en fit une nouvelle épreuve, et il crut lire dans les étoiles que le jeune Drosselmeier se rendrait si remarquable dans sa nouvelle position, qu’il deviendrait prince et roi malgré son horrible figure ; mais qu’il ne se débarrasserait de sa laideur que lorsque le fils de la dame Mauserink, qui était né avec sept têtes après la mort de ses sept enfants, aurait été tué de sa main, et qu’une dame se serait éprise de lui, malgré ses difformités.

L’on a vu, en effet, le jeune Drosselmeier dans la boutique de son père, aux jours de Noël, sous la forme d’un Casse-Noisette, mais avec le costume d’un prince.

Tel est, mes enfants, le conte de la noix dure, et maintenant vous savez pourquoi les Casse-Noisette sont si laids.

Le conseiller termina ainsi son conte :

Marie prétendit que la princesse Pirlipat n’était, après tout, qu’une vilaine ingrate ; Fritz assura, de son côté, que si le Casse-Noisette voulait ne pas ménager le roi des souris et se montrer un brave garçon, il reprendrait les jolies formes qu’il avait perdues.


ONCLE ET NEVEU.


Si l’un de mes très-honorés lecteurs s’est une fois seulement coupé avec du verre, il saura combien cela fait souffrir, et quel temps long exige la guérison complète. La petite Marie avait dû rester au lit plus d’une semaine, parce qu’il lui prenait des faiblesses aussitôt qu’elle voulait se lever. Enfin elle guérit tout à fait et put, comme par le passé, sauter dans la chambre. L’armoire vitrée avait une charmante apparence, car on y voyait des arbres, des fleurs, des maisons toutes neuves et de belles poupées brillantes. Avant toutes choses, Marie retrouva son cher Casse-Noisette qui, placé au second rayon, lui souriait de toutes ses dents en bon état ; en regardant son favori avec un cordial plaisir, elle se sentit le cœur oppressé en songeant que ce que Drosselmeier lui avait raconté était l’histoire du Casse-Noisette et l’origine de sa mésintelligence avec la dame Mauserink et son fils. Elle savait maintenant que son Casse-Noisette n’était autre que le jeune Drosselmeier de Nuremberg, neveu du parrain Drosselmeier, et ensorcelé par la dame Mauserink ; car l’habile horloger de la cour du père Pirlipat ne pouvait être que le conseiller de justice Drosselmeier lui même ; et de cela Marie n’en avait pas douté un seul instant tout le temps du conte.

— Mais pourquoi ton oncle ne t’est-il pas venu en aide ? disait Marie en réfléchissant que dans cette bataille, où ils étaient l’un et l’autre comme spectateurs, il y allait de la couronne et du royaume de Casse-Noisette. Toutes les autres poupées ne lui étaient-elles pas soumises et n’était-il pas certain que la prophétie de l’astronome de la cour s’était réalisée et que le jeune Drosselmeier était devenu roi du royaume des poupées ?

Tandis que la petite Marie faisait ces réflexions, elle croyait aussi que Casse-Noisette et ses vassaux allaient s’animer et s’émouvoir, puisqu’elle leur reconnaissait le mouvement et la vie. Mais cela ne fut pas ainsi ; tout, au contraire, restait immobile dans l’armoire. Mais Marie, loin d’abandonner sa conviction intérieure, rejeta cela sur les enchantements de la dame Mauserink et de son fils aux sept têtes.

— Pourtant, dit-elle au Casse-Noisette, cher monsieur Drosselmeier, bien que vous ne puissiez ni vous mouvoir ni parler avec moi, je sais que vous me comprenez et que vous connaissez tout l’intérêt que je vous porte. Comptez sur mon appui quand il vous sera nécessaire : en tout cas, je prierai votre oncle de se rendre auprès de vous quand vous aurez besoin de son habileté.

Casse-Noisette resta silencieux et tranquille ; mais il sembla à Marie qu’un léger soupir parti de l’armoire vitrée faisait retentir les vitres d’une manière presque insensible, et elle crut entendre une petite voix argentine comme des cloches qui disait :

— Petite Marie ! mon ange gardien ! je serai à toi ! Marie sera à moi !

Marie sentit un frisson glacé parcourir son corps, et cependant elle éprouvait en même temps un certain bien aise.

Le crépuscule était arrivé, le médecin consultant entra avec le parrain Drosselmeier, et presque aussitôt Louise avait dressé la table de thé, et la famille y était déjà réunie, parlant de toutes sortes de choses joyeuses. Marie avait été chercher tranquillement son petit fauteuil, et elle s’était assise aux pieds du parrain Drosselmeier. Dans un moment de silence, Marie regarda bien en face, de ses grands yeux bleus, le conseiller de justice et dit :

— Je sais maintenant, mon bon parrain Drosselmeier, que Casse-Noisette est ton neveu le jeune Drosselmeier de Nuremberg. Il est devenu prince ou même roi, comme l’avait prédit ton ami l’astrologue ; mais tu sais qu’il est en guerre ouverte avec le fils de dame Mauserink, l’affreux roi des souris. Pourquoi ne lui viens-tu pas en aide ?

Marie raconta encore une fois la bataille qu’elle avait vue, et fut souvent interrompue par les éclats de rire de sa mère et de Louise. Fritz et Drosselmeier conservèrent l’un et l’autre leur sérieux.

— Mais où cette petite fille va-t-elle chercher toutes ces folies ? dit le médecin consultant.

— Eh ! répondit la mère, elle a une imagination très-active, et ce sont des rêves que la fièvre de sa blessure a causés.

— Tout n’est pas vrai, dit Fritz ; mes hussards rouges sont plus braves que cela.

Le parrain Drosselmeier prit la petite Marie sur ses genoux avec un sourire étrange, et lui dit d’une voix plus douce que jamais :

— Eh ! ma chère Marie, tu es mieux douée que moi et que nous tous ensemble. Comme Pirlipat, tu es née princesse, et ton empire est bien beau ; mais tu auras beaucoup à souffrir si tu veux prendre la défense du pauvre et difforme Casse-Noisette, car le roi des souris le poursuivra par monts et par vaux. Mais je ne puis rien pour lui : sois fidèle et constante, toi seule peux le sauver.

Marie, ni personne des assistants ne comprit ce que Drosselmeier voulait dire par ces paroles ; bien plus, elles parurent si étranges au médecin consultant, qu’il tâta le pouls du conseiller de justice et lui dit :

— Vous avez, mon cher ami, de fortes congestions sanguines qui se portent à la tête, je vous ferai une ordonnance.

Seule, la mère secoua la tête d’un air pensif et dit :

— Je pressens ce que veut dire le conseiller, mais je ne peux pas l’expliquer clairement.


LA VICTOIRE.


Peu de temps après Marie fut éveillée, par une belle nuit de lune, par un bruit étrange, qui semblait partir d’un des coins de la chambre ; on aurait dit qu’on jetait et que l’on roulait çà et là de petites pierres, et l’on entendait en outre des cris et des sifflements horribles.

— Ah ! voici les souris, les souris ! s’écria Marie effrayée, et elle voulut éveiller sa mère ; mais la voix lui manqua tout à fait, et il lui fut impossible de faire un seul mouvement, lorsqu’elle vit le roi des souris se faire jour par un trou du mur ; et, après avoir parcouru la chambre, les yeux flamboyants et la couronne en tête, sauter sur une petite table placée près du lit de Marie.

— Hi ! hi ! hi ! donne-moi tes dragées, donne-moi ta frangipane, ou je te brise ton Casse-Noisette, ton Casse-Noisette ! disait-il en sifflant et tout en faisant claquer affreusement ses dents ensemble, et il disparut dans un trou du mur.

Marie fut si tourmentée de cette horrible apparition, qu’elle en fut toute pâlie le matin suivant, et si impressionnée, qu’elle pouvait à peine dire un mot. Cent fois elle fut sur le point de raconter à sa mère, à Louise ou tout au moins à Fritz ce qu’elle avait vu.

— Mais personne ne me croira, pensait-elle, et on se moquera de moi par-dessus le marché. Ce qui ne lui paraissait pas douteux, c’était qu’elle devait céder, pour sauver Casse-Noisette, ses dragées et sa frangipane, et elle plaça tout ce qu’elle en avait le soir suivant sur le bord de l’armoire. Le lendemain, sa mère lui dit :

— Je ne sais pas d’où viennent toutes les souris de votre chambre ; mais vois, ma pauvre Marie, elles ont mangé toutes les sucreries.

C’était la vérité ; le gourmand roi des souris n’avait pas trouvé la frangipane à son goût, mais il y avait imprimé ses dents aiguës, de manière qu’il fallut la jeter. Marie regrettait peu ses sucreries, mais elle se réjouissait dans son cœur en croyant avoir sauvé Casse-Noisette. Que n’éprouva-t-elle donc pas lorsque la nuit suivante elle entendit crier et siffler derrière le poêle ! Le roi des souris était encore là, plus affreux que la nuit précédente, et il dit en sifflant plus effroyablement encore entre les dents :

— Il faut que tu me donnes tes bonshommes de sucre et de sucre d’orge, ou sinon je te dévorerai Casse-Noisette.

Et il disparut de nouveau.

Marie fut très-consternée ; elle alla le matin suivant à l’armoire, et elle jeta un regard de regret sur ses bonshommes de sucre et de sucre d’orge, et son chagrin était motivé ; car ses bonshommes de sucre étaient en foule ; il s’y trouvait un berger avec sa bergère, et son petit troupeau blanc, et son petit chien ; il y avait aussi deux facteurs tenant des lettres à la main, et quatre jeunes garçons bien