Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/141

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LE SANCTUS

Le docteur secoua la tête d’une manière qui donnait beaucoup à penser.

— Comment ! s’écria avec violence le maître de chapelle en sautant de son siège, le catarrhe de Bettina pourrait donc vraiment avoir des suites fâcheuses ?

Le docteur frappa trois ou quatre fois le plancher de son bambou, prit sa tabatière et la remit dans sa poche sans avoir prisé, leva brusquement les yeux, comme s’il eut compté les rosaces du plafond, et toussa d’une voix caccophonique sans souffler mot.

Cette tenue déconcerta le maître de chapelle, car il savait que ces gestes du docteur signifiaient en langage clair et intelligible un cas grave, très-grave, et : — je ne sais comment me tirer d’affaire ; j’erre à l’aventure ; je procède empiriquement, ainsi que le docteur, dans Gil Bas de Santillane.

— Eh bien ! s’écria le maître de chapelle tout en colère, dites-moi au moins la pure vérité, et ne prenez pas un maudit air d’importance quand il s’agit d’un simple enrouement que Bettina s’est attiré pour avoir oublié de mettre son châle en sortant de l’église. Cela ne coûtera pourtant pas la vie à la petite.

— Que non ! dit le docteur en cherchant de nouveau sa tabatière et en portant réellement cette fois une prise à ses narines ; mais il est plus que vraisemblable que, pendant tout le reste de sa vie, elle ne pourra plus chanter une seule note.

À ces mots, le maître de chapelle porta ses deux poings à sa chevelure, dont la poudre sortit en nuages, courut de long en large dans la chambre, et s’écria dans une exaspération de possédé :

— Ne jamais chanter ! ne plus chanter ! Bettina, ne plus chanter ! Plus de ces magnifiques canzonettes, de ces merveilleux boléros et séguidillas, qui coulaient de ses lèvres comme du parfum de fleurs transformé en son ; plus de pieux Agnus, plus de Benedictus si consolateur dans