Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/142

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sa bouche ! Oh ! oh ! point de Miserere qui me lavait de toutes les impuretés terrestres, de toutes les basses pensées, et qui, souvent, faisait éclore en moi tout un monde de beaux thèmes religieux ! Tu mens ! docteur, tu mens ! Le diable te tente et t’excite à me tendre des pièges. L’organiste de la cathédrale, qui me poursuit avec une jalousie infâme depuis que j’ai composé un Qui tollis à huit voix au ravissement du monde entier, voilà celui qui t’a honteusement séduit. Il t’a chargé de me plonger dans un affreux désespoir, pour que je jette au feu ma nouvelle messe ; mais il n’y réussira point, et tu n’y réussiras point ! C’est ici, ici que je les porte les soli de Bettina (il frappa un grand coup sur la poche de son habit, qui retentit bruyamment), et tout de suite la petite va me les chanter de sa voix sublime et sonore comme une cloche, d’une manière plus brillante que jamais.

Le maître de chapelle saisit son chapeau et voulut partir ; le docteur le retint en lui disant d’une voix douce et basse :

— J’honore votre respectable enthousiasme, très adorable ami ; mais je n’exagère rien, et je ne connais pas du tout l’organiste de la cathédrale : c’est comme je vous l’ai dit. Depuis le temps que Bettina a chanté à l’église catholique les soli dans le Gloria et dans le Credo, elle est attaquée d’un enrouement extraordinaire ou plutôt d’une extinction de voix dont mon art ne peut triompher, et qui, comme je l’ai dit, me fait craindre qu’elle ne puisse plus chanter du tout.

— Bon ! s’écria le maître de chapelle avec la résignation du désespoir, alors donne-lui de l’opium, de l’opium, et encore de l’opium, et si longtemps de l’opium qu’elle meure d’une douce mort ; car si Bettina ne chante plus, elle ne doit pas vivre non plus : elle ne vit que lorsqu’elle chante, elle n’existe que dans les chants. Divin docteur, fais-moi le plaisir de l’empoisonner au plus tôt possible ; j’ai des connaissances au tribunal criminel ; j’ai étudié à Halle avec le président, qui alors était très fort sur le cor ; la nuit nous exécutions des duos avec accompagnement obligé de chœurs de chiens et de chats. Tu ne seras pas poursuivi pour cet honnête assassinat ; mais empoisonne-la, empoisonne-la.

— On est, dit le docteur en interrompant l’effervescent maître de chapelle, on est déjà d’un certain âge, vu qu’on est forcé depuis maintes anées de se faire poudrer les cheveux ; et pourtant pour ce qui concerne la musique, on est vel quasi un blanc-bec. Il est inutile de