Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/144

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plus dangerereuse. Moi, moi seul, je peux tout vous expliquer, messieurs.

— Que vais-je apprendre ? s’écria le maître de chapelle avec une voix plus larmoyante encore qu’auparavant.

Le docteur approcha sa chaise de celle de l’enthousiaste voyageur en le regardant d’un air étrangement goguenard ; mais l’enthousiaste voyageur leva les yeux au ciel, et dit, sans regarder le docteur ni le maître de chapelle :

— Maître de chapelle ! j’ai vu un jour un petit papillon diapré de brillantes couleurs qui s’était pris entre les cordes de votre clavicorde double2. Le petit être voltigeait gaiement de long en large ; il battait de ses petites ailes étincelantes tantôt les cordes supérieures, tantôt les cordes inférieures, qui alors rendaient des sons et des accords que l’oreille la mieux exercée pouvait seule distinguer. À la fin le petit animal semblait nager dans ces vibrations comme dans des ondes doucement agitées, ou plutôt semblait être porté par des flots d’harmonie. Mais souvent il arrivait qu’une corde plus fortement touchée frappait comme en colère les ailes du papillon., et leur faisait perdre en les froissant l’ornement de leurs couleurs variées. Mais le papillon, n’y faisant pas attention, tournoyait et allait toujours, produisant des chants et des sons continuels, jusqu’à ce que, les cordes le blessant toujours de plus en plus, il tomba mort dans l’ouverture de la table d’harmonie.

— Que voulez-vous nous dire par là ? demanda le maître de chapelle.

Fiat applicatio, mon très-cher ! dit le docteur.

— Il ne s’agit pas ici d’une application particulière, continua l’enthousiaste ; je voulais, comme j’ai entendu réellement le papillon jouer du clavicorde du maître de chapelle, faire entrevoir seulement en général une idée que j’ai eue alors, et qui peut assez bien servir d’introduction à tout ce que je vais dire sur la maladie de Bettina. Au reste, vous pouvez prendre le tout pour une allégorie, et à dessiner dans l’album d’une virtuose en tournée. Il me sembla alors que la nature avait construit autour de nous un clavicorde à mille touches, dans les cordes duquel nons manœuvrons. Nous en prenons les sons et les accords pour nos productions arbitraires, et souvent nous