Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/143

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crier de la sorte, de parler si témérairement de meurtre et d’assassinat ; qu’on se mette tranquillement dans ce commode fauteuil, et qu’on m’écoute avec sang-froid.

Le maître de chapelle s’écria d’une voix larmoyante :

— Que vais-je apprendre ?

Au reste, il fit ce qui lui avait été ordonné.

Il y a en effet, dit le docteur, quelque chose de tout à fait étrange et de merveilleux dans l’état de Bettina. Elle parle à haute voix ; la force de ses organes est dans toute sa plénitude ; on ne saurait supposer un mal de gorge ordinaire. Elle est même en état de proférer des tons musicaux ; mais dès qu’elle élève la voix jusqu’au chant, un je ne sais quoi incompréhensible, qui ne se manifeste ni par un picotement, ni par un chatouillement, ni enfin comme un principe de maladie affirmatif, la prive de ses facultés vocales, de sorte que chaque son, sans être faux ou étouffé, en un mot, sans se ressentir de l’influence d’un catarrhe, devient faible et sans expression. Bettina, elle-même, compare très bien son état à celui d’un rêve, où, avec la plein conscience de pouvoir voler, on essaye néanmoins inutilement de s’élever. Cet état de maladie négatif résiste à mon art, et tous mes remèdes sont autant de coups d’épée dans l’eau. L’ennemi que je dois combattre ressemble à un fantôme incorporel, contre lequel je m’escrime en vain. Vous avez raison, maître de chapelle, de dire que toute l’existence de Bettina dépend essentiellement du chant, car on ne peut se figurer l’oiseau de paradis que chantant ; voilà pourquoi la seule idée que son chant périt, et elle avec lui, agite continuellement ses esprits, augmente son malaise, et anéantit tout l’effet de mes efforts. Elle est de sa nature, comme elle le dit elle-même, très craintive, et avec cette disposition, après m’être, comme un naufragé, accroché pendant des mois entiers au moindre éclat de bois, après m’être complétement découragé, je finis par croire que la maladie de Bettina est plutôt psychique que physique.

— Bien, docteur ! s’écria ici l’enthousiaste voyageur1, qui jusqu’alors s’était tenu coi et les bras croisés dans un coin de la chambre ; d’un seul coup vous avez trouvé le véritable point, mon excellent docteur. La sensation maladive de Bettina est la réaction physique d’une impession psychique, et par cela même d’autant plus pernicieuse et