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Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/147

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tenait Bettina qui, d’une voix merveilleuseinent forte et pleine, chantait les petits soli. Vous savez que j’avais pris place parmi les ténors ; je me sentais trembler du frisson du sentiment religieux le plus profond, quand un bruit qu’on fit derrière moi me dérangea. Je me retourna, et je vis, à ma grande surprise, Bettina qui cherchait à passer à travers les rangs des instrumentistes et des chanteurs pour quitter le chœur.

— Vous voulez partir ? lui demandai-je.

— Il en est temps, répondit-elle en souriant ; il faut encore que je me rende à l’église de *** pour chanter dans une cantate, et puis que je répète ce matin quelques duos que je dois chanter ce soir au thé-concert de *** ; puis il y a souper chez ***. Vous y viendrez, n’est-ce pas ? nous exécuterons quelques chœurs du Messie de Hændel, et le premier final du Mariage de Figaro.

Pendant ce dialogue, les premiers accords du Sanctus retentirent, et l’encens s’éleva en nuages bleus jusqu’à la haute voûte de l’église.

— Ne savez-vous donc pas, lui dis-je, que c’est un péché qui ne reste pas impuni que de quitter l’église pendant le Sanctus ? Vous ne chanterez pas de sitôt dans une église.

Je voulais plaisanter, mais, je ne sais comment cela se fit, mes paroles étaient devenues solennelles. Bettina pâlit et quitta silencieusement l’église. Depuis ce moment elle a perdu la voix.

Pendant ce temps, le docteur s’était assis et tenait son menton appuyé sur la pomme de sa canne ; il resta muet, mais le maître de chapelle s’écria :

— C’est étonnant, en effet, très étonnant !

— À dire vrai, continua l’enthousiaste, je ne pensais à rien de positif en prononçant ces paroles, et je n’établissais pas d’abord le moindre rapport entre l’extinction de voix de Bettina et ma scène avec elle dans l’église. Ce n’est que ces jours-ci, à mon retour, quand j’appris de vous, docteur, que Bettina souffrait toujours de cette indisposition, que je me rappelai avoir alors songé à une histoire que j’avais lue, il y a quelques années, dans un vieux livre, et que je vais vous communiquer, vu qu’elle me paraît belle et touchante.

— Racontez, s’écria le maître de chapelle, peut-être y trouverai-je de l’étoffe pour tailler un bel et bon opéra.

— Mon cher maître de chapelle, dit le docteur, si vous êtes en